L’exil en question(s)

Jean-Marie G. Le Clézio, Nabile Farès, Monique Agénor et Jean Lods… rien ne semble, au premier abord, rapprocher ces auteurs d’origines et d’écritures différentes. Mais, en y regardant de plus près, nous nous apercevons que ces auteurs ont néanmoins un point commun : Jean Lods est né en France, mais son œuvre est marquée par un imaginaire réunionnais ; Monique Agénor est née à La Réunion, mais c’est à Paris qu’elle rédige ses œuvres portant, pour la plupart, sur son île natale ; Jean‑Marie G. Le Clézio accorde dans son œuvre une place importante à l’imaginaire mauricien, pourtant il a longtemps été lu comme un auteur appartenant au seul domaine de la littérature française ; et enfin, Nabile Farès est né en Algérie, pourtant c’est en France qu’il a choisi de vivre, et d’écrire. Auteurs errants, en exil, tous (ré)écrivent la mémoire et semblent tenter, par ce travail, de retrouver leurs origines. Imaginaires de l’exil et de la rencontre, se déplaçant sans cesse d’un espace temporel à un autre, d’un espace géographique à un autre, tous, par la littérature, semblent exprimer le souhait d’établir des ponts entre des rives souvent pensées comme trop éloignées.

Ces situations sont toutes plus ou moins paradoxales : ces auteurs déracinés écrivent tous une Origine qu’ils ont quittée, voire perdue. Ces auteurs sont tous, à des degrés différents, des exilés. Et, l’écriture qui est ici acte, témoigne d’une perte. Nous pouvons dès lors nous demander quelles influences ont ces exils sur leurs productions artistiques : que reste-t-il de l’Origine perdue ? Pouvons‑nous trouver dans leurs œuvres des traces de l’île, du pays, de l’origine ou de la langue dont ils sont exilés ? Existe-t-il un univers imaginaire propre à l’exil ? Si oui, les œuvres de ces auteurs devraient-elles nécessairement présenter des similitudes, les traces d’un parcours commun ? Alors, si traces il y a, quelles sont‑elles ? Comment se lisent-elles ? Mais encore, comment les auteurs écrivent-ils le lieu de leur exil ? Comment racontent-ils les mondes auxquels ils sont désormais étrangers – le sont-ils d’ailleurs véritablement ? La distance impose-t-elle un regard différent… un regard trouble et nouveau ? trouble ou nouveau ? Dans ce contexte où l’aliénation semble inévitable, quelle place reste-t-il pour Soi ? Comment définir son identité ? Comment ne pas perdre, du fait du départ et de la continuelle errance, ses bagages langagier, culturel et imaginaire ? L’expression de la mémoire serait-elle alors la seule manière de ne pas se perdre totalement ? Mais cette survivance de la mémoire se veut-elle anamnèse ou bien commémoration ? Si l’exil est ce trouble que l’écrivain tente de comprendre par le travail de l’écriture, comment l’écrivain fait-il vivre ce trouble ; ou à l’inverse, comment ce trouble vit-il dans l’écriture de son œuvre ? Est-il un appel à l’écriture, ou au contraire relève-t-il d’une impossibilité d’écrire ? L’œuvre deviendrait-elle alors un refuge, ou serait-elle un abîme engloutissant tout : mémoire, langue, culture ? Certes, l’écrivain est fécond, et son œuvre semble en être la preuve mais, paradoxalement, cette fécondité ne naît-elle pas d’une impuissance ? Celle de l’impossible retour effectif aux origines ? Alors, comment le langage vient-il témoigner de cette situation ? Vient-il troubler ou éclairer la quête identitaire consécutive à l’exil ? Quelles sont les figures, quelles sont les voix en présence ? En somme, comment l’exil vient-il s’immiscer dans les textes jusqu’à en devenir une dynamique littéraire ? D’autres questions subsistent : ces auteurs exilés, ces auteurs errants ont tous fait le choix, alors même que leurs espaces d’origines portent une pluralité de langues (entre autres arabophones et créolophones), d’écrire en présence du français ; ce qui suppose la présence simultanée d’autres bagages linguistiques, d’une polyphonie souvent mise en œuvre entre, par exemple, une culture écrite et des traditions orales… comment le langage fait-il cohabiter la multitude de ces présences ?