Les mouvements de l’exil : errances et constructions de réseaux d’échanges

Ecrire l’exil, c’est avant tout écrire un parcours… un parcours qui est langage, et qui est à l’image de celui qui l’énonce. Dans ce parcours marqué par une rupture, la racine originelle est ce qui semble faire défaut. Et le sentiment de déracinement, qui est la conséquence de cette rupture, véhicule l’aspiration permanente à renouer avec le temps des origines. Tout ce qui se situe dans l’intervalle – c'est-à-dire dans l’espace qui sépare le temps des origines de celui du présent – est le lieu de l’errance : celui où s’exprime la mémoire, celui où se réalise l’identité. C’est donc dans cet entre-lieux, dans cet intervalle entre une pluralité de temps et d’espaces, que l’être exilé semble désormais habiter : un espace qui est tout à la fois passé et présent, et qui tend à diminuer l’écart entre l’origine perdue et le présent de l’exil. Ces écritures au présent antérieur qui réalisent la cohabitation simultanée du passé et du présent nous amèneront donc à nous interroger sur les modalités de cette réalisation : par quels moyens l’exilé parvient-il à (ré)investir les temps passés, révolus ? Par quels moyens parvient-il à se retrouver en tant que sujet dans une Histoire dont il n’a été qu’un objet ? Comment par le langage rend-il compte, en un double mouvement, de son parcours et de son identité, puisque son parcours est identitaire ? Les formes produites, les sens produits, correspondent-ils à une modalité de représentation et de mise en forme de l’exil ?

A la différence du voyage, l’exil est vécu comme un manque car il ne présuppose pas le retour, car il est errance au-delà des frontières du lieu originel, toujours fantasmé, jamais retrouvé, sinon que d’une manière imaginaire, par le langage. Dès lors que la frontière a été franchie de manière réelle, se substituent dans le livre d’autres transgressions : historiques, mémorielles, mais encore typographiques, phoniques, génériques, etc. De ces ruptures normatives se dessinent alors de nouvelles lignes connexes semblant ainsi redessiner la carte des imaginaires en présence. Nous nous interrogerons par conséquent sur les manières dont le langage peut s’organiser et se structurer dans chacun des textes : la production du sens – ou du non-sens – est-elle significative des parcours narrés ? L’œuvre est-elle un gouffre qui plonge l’exilé dans un espace mort, asignifiant ? Ou alors, inversement, cet espace mort, ce puits creusé, ne peut-il pas être l’espace d’une autre signifiance ? L’acte de parole – le littéraire – ne donnerait-il pas corps et sens à cet espace mort, faisant du livre le lieu où s’expriment et se dessinent les identités nouvelles, ouvertes et déployées en un réseau où se connecte la multiplicité des espaces investis (mémoire, géographie, langage) ?