Né à Collo en 1940, a quitté l’Algérie pour vivre quelques années en Espagne, puis en France (Paris), où il réside aujourd’hui.
Dans l’œuvre de Nabile Farès, la parole est mouvance : elle est glissement d’une écriture de la fragmentation vers une parole délirante, glissement d’une parole littéraire vers une parole du dés-œuvrement. Témoin des troubles provoqués par les exils, son écriture – avant tout polyphonique – témoigne de la difficulté de l’être à dire son parcours dans l’errance… qu’il soit fictif ou effectif, qu’il soit physique ou verbal. Le déplacement d’un lieu à un autre semble valoir pour le déplacement d’une littérature à une autre ; celle d’un non-lieu où se croisent les maux de l’exil.
Publiés respectivement en 1972, 1974 et 1976, les trois livres qui constituent la trilogie de La Découverte du Nouveau Monde 80 se situent au début de la carrière littéraire de Nabile Farès ; carrière commencée en 1970 avec Yahia, pas de chance. Comme le précise la première note du champ des Oliviers, le lecteur doit restituer une parenté entre le premier livre de la trilogie, et deux autres ouvrages parus précédemment ; à savoir Yahia, pas de chance (1970) et Un passager de l’Occident (1971). Comprenons que, dès ses premiers travaux d’écriture, Nabile Farès entreprenait un travail s’inscrivant dans une continuité littéraire – un travail à compléter, et non un travail fini.
Outre leur écriture dite atypique ou hors norme, les œuvres de cette trilogie ont toutes trois en commun un souvenir : celui de Ali Saïd, un jeune homme mort violemment pendant la guerre, tué d’une balle en plein front. C’est autour de ce souvenir, et de tout ce qui s’y rattache (le pays‑mère, l’origine de ce pays, et les guerres qui l’ont traversé) que va se tisser la toile narrative de chacune des œuvres. Chaque protagoniste (Brandy Fax pour Le champ des Oliviers, Abdenouar pour Mémoire de l’Absent et Mokrane pour L’exil et le désarroi) va, à sa manière, se remémorer les déchirures qui ont divisé le pays. Autre point commun : dans chacune des œuvres, si la mémoire s’éveille pour plonger nos protagonistes dans un passé plus ou moins proche, c’est avant tout parce que, dans leur présent, ces personnages se sentent perdus. Tous sont en mouvement – en exil – tous ont quitté leur pays d’origine pour aller se réfugier ailleurs, en Occident : Le champ des Oliviers s’ouvre sur Brandy Fax dans un train en partance pour Barcelone ; Mémoire de l’Absent conte la fuite d’Abdenouar vers Paris ; et L’exil et le désarroi s’ouvre sur Mokrane, seul, dans une chambre à Paris.
L’exil est, semble-t-il, le moteur de ces œuvres. L’exil, et l’errance qu’il entraîne, sont les dynamiques de ces textes. Et le déplacement de l’être vaut alors pour un déplacement de la parole littéraire : perdus dans leurs fuites, et ayant perdu tout contact physique avec leurs origines, les personnages se mettent à parler, à dire leur exil ; ils se mettent, par la parole, à voyager d’un monde à l’autre, d’un Monde Ancien à un Nouveau Monde ; du passé au présent, et inversement. Cette verbalisation de leur errance va se lire dans les textes par un langage à l’image de cette errance. Délirant dans leurs fuites, perdus dans un Nouveau Monde qui semble leur faire peur, les personnages vont laisser s’échapper les voix de leurs exils.
D’une manière générale, le schéma narratif de chacune des œuvres est le suivant : au début, et à la fin des œuvres, nous sommes en présence des protagonistes. Entre ces moments, au moyen de diverses voix (qui sont celles du passé, des membres de leur famille, ou de personnages allégoriques), la parole quitte le monde présent (l’Occident) pour se tourner vers le temps des origines. Et, la présence de ces diverses voix crée une polyphonie vocale qui contribue à troubler la lecture… une polyphonie vocale qui confère au texte sa forme délirante, son aspect de délire.
Nabile Farès est un auteur qui a majoritairement été étudié dans le champ des littératures maghrébines d’expression française. Il existe à ce jour une importante somme de travaux portant sur son œuvre81. Parmi ceux-ci, nous pourrions notamment citer un ouvrage (le seul qui lui soit exclusivement consacré) : il s’agit de Nabile Farès, la migration et la marge 82, de Charles Bonn, qui traite principalement du refus de la norme caractérisant l’écriture farésienne, et qui donne également suite aux travaux universitaires qui avaient été engagés par l’auteur83. Dans cet ouvrage qui nous a fourni de nombreuses bases théoriques concernant l’écriture farésienne, Charles Bonn propose une analyse œuvre par œuvre du « “Cycle d’Ali-Saïd”, c’est-à-dire des cinq romans dont Ali-Saïd et son flamboiement “à fleur de terre et d’horizon” sont le commun dénominateur »84 (il s’agit des cinq premières œuvres de Farès, qui vont de Yahia, pas de chance à L’exil et le désarroi). Par ailleurs, notons enfin que la plus grande partie des travaux consacrés à Nabile Farès sont des travaux universitaires (thèses, mémoires, articles, etc.) qui ont majoritairement été réalisés dans les années 1980-1990. Concernant leurs axes, nous pouvons relever plusieurs tendances principales :
Dans ces deux principaux types d’analyse, certaines études proposent de travailler les textes farésiens en comparaison avec d’autres auteurs, qu’ils soient originaires ou non du Maghreb87. Néanmoins, lors d’études comparatives, les textes de Farès ont été majoritairement travaillés en parallèle à ceux de Kateb Yacine ou de Mohammed Dib88. Concernant la thématique de l’exil, elle a souvent été étudiée dans l’œuvre farésienne89. En revanche, hormis nos précédents travaux de Maîtrise et D.E.A., concernant l’étude de ce thème, il n’existe pas de travaux ouverts proposant de confronter l’un des textes de cet auteur à ceux d’un auteur originaire d’un autre espace de la francophonie.
Par ailleurs, nous devons encore noter qu’en tant qu’enseignant, ethnologue et psychanalyste, Nabile Farès a lui-même produit un nombre conséquent de travaux sur la littérature. Ceux-ci, bien que ne portant pas sur sa propre production littéraire, peuvent apporter un éclairage : nous pouvons citer sa thèse de Doctorat portant sur l’un des thèmes abordés de manière récurrente dans ses œuvres littéraires, celui de l’ « ogresse »90, mais encore noter ses nombreuses participations, en tant que chercheur, dans un grand nombre de revues (littéraires ou autres)91. De plus, certains thèmes abordés parmi ces publications semblent chers à l’auteur, comme notamment ceux de l’identité92, de l’interculturalité93 et de l’exil94. En somme, la lecture en amont de ces écrits autres de l’auteur nous ont permis sinon de constituer un matériau de réflexion métatextuelle sur son œuvre, du moins de nous aider à tracer des pistes d’études la concernant.
Ces trois tomes sont : Le champ des Oliviers (1972), Mémoire de l’Absent (1974), et L’exil et le désarroi (1976).
Notons ici qu’une grande partie de ces références sont disponibles dans le dossier bio-bibliographique concernant Nabile Farès sur le site Limag : Charles Bonn & la CICLIM (Coordination Internationale des Chercheurs sur les Littératures du Magheb), Limag (Littératures du Maghreb), France (Lyon), Université Lyon 2, <http://www.limag.com>, 1998.
Charles Bonn, Nabile Farès : la migration et la marge, Algérie (Casablanca), Afrique-Orient, 1986.
Charles Bonn, Le Roman algérien de langue française : Espaces de l’énonciation et productivité des récits, TDE, Simon Jeune, Université Bordeaux 3, 1982 ; et Farida Boualit, Pour une poétique de la chromatographie : les cinq textes-programme de Nabile Farès, DNR, Claude Duchet, Université Paris 8, 1993.
Charles Bonn, 1986, op. cit., p. 5.
A titre d’exemple, nous pourrions citer pour les travaux universitaires : Mohamed Saïd El Zemouri, Le Berbérisme dans la littérature Maghrébine d’expression française. Le cas de Driss Chraïbi, Mohammed Khaïr-Eddine, Yacine Kateb, Nabile Farès., TDE, Université de Tétouan, 1997 ; et : Isaac Célestin Tcheho, Les paradigmes de l’écriture dans dix romans maghrébins d’expression française des années 70 et 80, DNR, Charles Bonn, Université Paris 13, 1999. Et pour les articles : Fatima Ahnouch, « Ecrire l’Algérie à travers une poétique de la fracture, dans “Mémoire de l’Absent” de Nabile Farès », in Habib Salha (dir.), Ecrire le Maghreb, Tunis, Cérès, 1997 ; ou encore : Charles Bonn, « Entre Paris et Constantine. Le dialogue des villes identitaires chez quelques classiques du roman », in Ecarts d’Identité, France (Grenoble), S.A.I.D./A.D.A.T.E., 1997, n° 82 « Dédicace pour la Méditerranée ».
Pour les travaux universitaires nous pouvons souligner : Rachida Saigh, Polysémie et béances des dires dans le roman maghrébin de langue française à partir de 1967, TDE, Charles Bonn, Université Paris 13, 1988 ; et : Sana Smyej, L’oral et l’écrit à travers l’œuvre de Nabile Farès, DNR, Bernard Mouralis, Université de Cergy-Pontoise, 1995. Et pour les articles : Jacqueline Arnaud, « Exil, errance, voyage dans “L’Exil et le désarroi” de Farès, “Une vie, un rêve, un peuple toujours errants” de Khaïr-Eddine et “Talismano” de d’Abdelwahab Meddeb », in Jacques Mounier (dir.), Exil et Littérature, Grenoble, France, Ellug, 1986 ; et aussi : Farida Boualit, « L’ogresse farésienne : de l’oral du conte à l’oralité de l’écriture (ou du fabuleux au sémiotique) », in Revue de la Fac. De Fès, Fès, Faculté des Lettres, 1992, n° 8.
Pour les études comparatives, nous pensons par exemple à : Gisèle Herry, L’univers clos chez Wright, Farès et Beckett ; étude thématique et lexicale assistée par ordinateur, D3, Raymond Jean et Anne Roche, Université Aix-Marseille 1, 1983 ; ou à : Brigitte Raybaud, Poésie-Lutte, ou les moyens d’une représentation textuelle (Aimé Césaire, Abdellatif Laabi, Noureddine Aba, Tahar Ben Jelloun, Nabile Farès), D3, Antoine Raybaud et Raymond Jean, Université Aix-Marseille 1, 1983.
Dans le cas présent, les références les plus marquantes peuvent par exemple être : Habib Mejdoub, L’image de la guerre dans la littérature algérienne d’expression française : « Yahia, pas de chance » de Farès, « Nedjma » de Kateb, « Les enfants du nouveau Monde » d’A. Djebar, « Qui se souvient de la mer » de Dib, « L’opium et le baton » de Mammeri, D3, Raymond Jean et Anne Roche, Université Aix-Marseille 1, 1980 ; et pour les articles : Charles Bonn, « Le Sud mythique chez Nabile Farès, Mourad Bourboune et Mohammed Dib », Le Sud : Mythes, images, réalités (T2), Paris, S.F.L.G.C., 1984 ; et encore : Antoine Raybaud, « Roman algérien et quête d’identité : l’écriture-délire de Kateb Yacine et Nabile Farès », in Europe, Paris, 1976, n° 567-568 « Littérature algérienne ».
Parmi les travaux portant sur ce thème, nous pourrions citer : Reda Bensmaia, « The exiles of Nabile Farès, or how to became a minority », in Yale French Studies, E.U. (New Haven), Yale University Press, 1993, n° 83 ; et aussi : Farida Boualit, « Le chromotope de l’exil dans la production de Nabile Farès », in Charles Bonn (dir.), Littératures des immigrations. 2) Exils croisés, Paris, L’Harmattan, 1995.
Signification de l’Ogresse, D3 (Germaine Tillion), Paris EHESS, 1971 ; publié sous le titre : L’Ogresse dans la littérature orale berbère. Littérature orale et anthropologie, Paris, Karthala, 1994.
Parmi ces nombreux périodiques, nous pourrions par exemple citer : Annuaire de l’Afrique du Nord (Paris, CNRS), Awal, cahier d’études berbères (Paris/Alger, Maison des Sciences de l’Homme), Détours d’écriture (France, Aix-en-Provence, Sillages), Intersignes (Paris, Alef), Itinéraires et contacts de cultures (Paris, Université Paris-Nord / L’Harmattan), L’Afrique littéraire et artistique (Paris), etc.
A titre d’exemple : « Les avatars juridiques d’une dénomination sociologique : le concept de Société d’immigration », in Peuples méditerranéens, Paris, avril-septembre 1985, n° 31-32 ; et : « Sujet en construction », in Intersignes, Paris, Alef, automne 1993, n° 8-9 « Sujet et citoyenneté ».
« Les réalités mythiques de l’interculturalité », in Revue de la Faculté des Lettres de Marrakech, Maroc (Marrakech), Faculté des Lettres, 1996, n° 14 « L’Interculturel : problématique et espace de création » ; et : « De la culture et de l’échange », in Pierrette Renard et Nicole de Pontcharra (dir.), L’imaginaire méditerranéen, Paris, Maisonneuve et Larose, 2000.
« Exil et métaphore », in Recherches et travaux, France (Grenoble), Université Grenoble 3, 1986, n° 30 « Littérature de l’exil ».