Annexe I. Entretien avec Monique Agénor, Jean Lods et Nabile Farès

Transcription du CD Audio :

Les Dossiers de l’ARCC n° 47, « Exils et Ecritures. Entretien avec trois écrivains francophones : Monique Agénor, Jean Lods et Nabile Farès », Paris, ARCC, 2007 (2 CD Audio, 45 et 35mn).

Stéphane HOARAU [ CD I, piste 1 ] : Avant de commencer les entretiens avec Nabile Farès, Monique Agénor et Jean Lods ici présents, je voudrais faire un bref petit mot de présentation concernant le thème de cette soirée, à savoir : « Exil et écriture, rencontre avec Monique Agénor, Jean Lods et Nabile Farès ». Je voudrais donc brièvement préciser pourquoi ce sujet et pourquoi ces auteurs : je travaille actuellement à l’écriture d’une thèse dont le thème est « écriture et exil ».Pour ce faire, j’ai choisi de travailler sur un corpus d’auteurs originaires de diverses régions francophones du globe, dont principalement de l’île de La Réunion et du Maghreb : les œuvres de Monique Agénor et de Jean Lods me permettent d’interroger l’espace francophone réunionnais, et les œuvres de Nabile Farès, auteur né en Algérie, me permet d’aborder l’espace francophone maghrébin. Par ailleurs, avant de commencer nos entretiens, je vous propose une petite « mise en bouche ». Nous commencerons donc cette soirée par une petite lecture de l’un des textes de l’un des trois auteurs ici présents : il s’agit d’un texte de Monique Agénor, intitulé Bé-Maho. Je vous situe en quelques mots le passage qui sera lu : Bé-Maho raconte l’histoire de « p’tits blancs des Hauts » de l’île de La Réunion qui sont en prise, en 1942, avec la guerre qui sévit en France, sur le continent européen, et qui les rattrape sur leur île. Il s’organise alors sur l’île une résistance, ce qui crée des conflits entre la population et les politiques. A un moment de l’histoire, des « p’tits Blancs des Hauts », des « Youls », se retrouvent à Bé-Maho pour voir, pour la toute première fois pour certains, un film ; pour assister à une projection cinématographique, sur un terrain vague, dans les hauteurs de l’île. C’est donc à ce moment que débute l’extrait :

Lecture par Ludovic Pirazzoli [ CD I, piste 2 ] :

‘[…] Quand débutèrent les actualités de Pathé-Journal, les découvreurs du cinéma faillirent s’étrangler en entendant la voix du commentateur qui sortait de l’écran. Ils se regardèrent en bébête coco, doutant de leurs esgourdes. Et quand soudain la guerre se mit à péter partout à coups de canon, que des soldats voltigeaient dans l’air pour retomber en morceaux, comme qui dirait volatilisés, que des avions vrombissants descendaient en piqué sur des chars et des tanks en balançant des bombes, sans trop rien comprendre à ce qui se passait, mais épouvantés par les crépitements des bouches à feu, par les explosions des obus déchirant la terre et le ciel, les apprentis-spectateurs, en cabrioles et ricochets, dans une cacophonie et un ramdam sans pareils, prirent leurs jambes à leur cou, carillonnés comme ils étaient par la violence, la peur et la mort […]. (Monique Agénor, Bé-Maho. Chroniques sous le vent, Paris, Le Serpent à Plumes, 1996, p. 195 à 199)’

SH [ CD I, piste 3 ] : J’aimerais vous dire pourquoi j’ai choisi cet extrait. A mon sens il permet de caractériser deux choses concernant Monique Agénor et son œuvre. Premièrement, il permet d’esquisser son parcours, et notamment de souligner son rapport au cinéma – qui je pense a une influence sur son écriture. Deuxièmement, il permet de mettre en lumière son rapport à l’Histoire : cet extrait qui commence de manière assez légère et joviale avec un film de Charlot, devient soudainement grave en confrontant les personnages de Bé-Maho à une étrange réalité – celle du film – qui leur fait prendre conscience de l’impact de l’Histoire dans leur île. Ils découvrent là, entre autres figures historiques, celles de Pétain et d’Hitler qui, malgré la distance, sont en train de profondément modifier leur quotidien. J’aimerais donc demander à Monique Agénor si elle a quelques mots à dire au sujet de cet extrait, et notamment si elle souhaite nous parler de son parcours et de son rapport au cinéma, mais également de son rapport à l’Histoire qu’elle met en œuvre dans ses livres.

Monique AGENOR : Ce que je voudrais d’abord dire, et je suppose que Jean Lods a du avoir les mêmes réactions que moi, c’est que, quand j’étais enfant à La Réunion, et que des films passaient comme ça, soit dans les salles, soit à l’extérieur, il se passait toujours quelque chose d’extraordinaire entre le public et les personnages. C’était vraiment – et je ne sais pas comment vous l’expliquer – une espèce d’interférence qu’il y avait constamment entre le public et l’action qui se passait sur l’écran. Et c’est ça qui a fait que j’ai eu envie reporter cette chose que j’ai pu voir, et qui m’avait vraiment frappé. J’ai eu envie de le reconstituer dans le livre.

SH : Par rapport à « cette chose » que tu as eu envie de reconstituer : est-ce que c’est elle qui t’as donné envie de quitter l’île à un moment de ton histoire personnelle pour venir en métropole – en France continentale donc – pour devenir comédienne et ensuite te lancer dans une carrière cinématographique qui aboutira à l’écriture de L’Aïeule de l’île Bourbon (qui était au départ un scénario).

MA : Oui, bien sûr. Mais c’est vrai que le cinéma était très important pour nous quand nous étions enfants parce qu’en fait, on n’avait que ça. Surtout quand j’étais à Saint-Denis, où il n’y avait à l’époque pas beaucoup de loisirs. Il n’y avait pas de théâtre, il n’y avait que le cinéma. Si bien que le cinéma a été très important pour moi. Et quand je suis arrivée à Paris, la première chose que j’ai faite, en dehors du cinéma bien sûr, ça a été le théâtre. Plus tard je me suis accrochée au cinéma parce que c’est vrai que j’aimais beaucoup cette façon de voir les choses, cette façon de voir la vie. Et ce qui m’avait poussé à m’engager dans ce genre d’expression, c’est qu’au fur et à mesure de mes retours à l’île de La Réunion, je m’apercevais que tout ce que j’avais aimé, aussi bien les paysages, que l’architecture, la vie, les gens, etc. n’étaient plus du tout ce que je croyais qu’ils allaient pouvoir être. Par exemple, en ce qui concerne l’architecture – puisque tout à l’heure tu parlais de Taq’ pas la porte – les maisons commençaient à disparaître. Une démolition incroyable, la construction de béton dans tous les sens… J’ai eu très envie, dans le cadre d’un film, fut-il documentaire, de montrer quelle a été la vie des gens, la vie des Réunionnais, à travers leur architecture. Aussi bien la population paysanne, rurale, pour qui le petites cases des Hauts ou les petites maisons étaient importantes – faisant parti de notre patrimoine culturel quoiqu’on puisse en dire – que les maisons des bourgeois, les maisons des colons, les grandes bâtisses qu’on a pu trouver dans la rue de Paris et dont la moitié ont disparu. Pour moi, c’était important d’essayer d’ouvrir ma petite mémoire – je veux dire individuelle – à une certaine mémoire collective. C’était pour moi très important. Et ensuite, toujours par rapport au cinéma, mais cette fois-ci il s’agit d’un film de fiction basé sur des faits réels, ça a été La Route cachalot. Là encore, j’ai voulu montrer la vie des Réunionnais à travers les usines sucrières, à travers tout ce qui a fait leur vie pendant au moins deux ou trois siècles. C’était pour moi quelque chose de très important, en tous les cas en ce qui concerne ces deux films là. Et puisque tu as abordé la question de L’Aïeule de l’île Bourbon, effectivement, après avoir fait ces films, j’avais pensé à un film de long-métrage qui pourrait nous permettre de reconstituer un petit peu le peuplement de l’île de La Réunion. Je suis donc remontée dans la documentation jusqu’à Françoise Chastelain, qui est donc une des premières femmes à aborder l’île au XVIIe siècle. J’ai donc commencé à écrire un scénario. Peut-être que je n’ai pas su écrire comme il aurait fallu le faire…

SH : Tu as écrit un roman…

MA : Oui, mais d’abord le scénario. Et finalement j’ai écrit un roman en me disant que, peut-être, les producteurs ne comprennent pas très bien ce que je veux dire. Le peuplement de La Réunion, c’est bien loin, c’est à treize mille kilomètres d’ici, etc. Donc, je me suis dit, je vais faire un récit simple et puis on verra bien. C’est à ce moment là que j’ai démarré dans la littérature, après avoir fait ce petit crochet par le cinéma.

SH [ CD I, piste 4 : Ce qui m’intéresse dans ce rapport au cinéma, dans ces images à valeur métaphorique que l’on peut retrouver dans Bé-Maho par exemple, c’est la manière dont l’écrivain a l’air de se cacher derrière un masque, derrière une image donc, pour parler de son parcours, pour parler de ses origines, pour parler de l’île qu’il a connu durant son enfance… Et quand je dis cela, je pense à l’écriture de Jean Lods. Jean Lods qui utilise beaucoup de métaphores pour décrire ses personnages, qui les décrit souvent, par exemple, à partir de références à des films. Ce constat me permettait donc de faire ma transition avec l’œuvre de Jean Lods, et la question que je voulais lui poser au sujet de l’interaction entre ces deux arts, entre le septième art et la littérature, dans un rapport à son parcours, était : est-ce que masquer l’écriture derrière une image, est-ce que créer une image en essayant de reproduire des processus cinématographiques, est une manière de renvoyer au masque de l’écrivain ? Je pense par exemple aux nombreux masques que l’un des personnages de La Morte saison, Martin, porte pour enquêter sur son père qui l’a abandonné durant son enfance. Ce personnage, comme un acteur, endosse le costume d’un écrivain pour pouvoir découvrir sous couvert d’anonymat quelle était son histoire, ou plus précisément pour pouvoir entendre comment les personnes qui avaient connu son père pouvaient lui raconter son histoire ? En somme, où se cache l’écrivain dans le livre ? Derrière quelle image ? Et comment peut-on reconstituer son parcours à partir de ce qui semble être caché dans les creux du discours ?

Jean LODS : Je dirais que pour le type d’écriture que je pratique, l’écrivain est partout. A la différence de Monique qui fait des livres qui racontent La Réunion, et qui évoquent d’ailleurs avec beaucoup de force La Réunion de cette époque là dans le but de la faire connaître, ma tentative à moi est beaucoup plus égoïste. En fait, tous mes livres sont une recherche de quête identitaire. Et c’est à travers la quête identitaire personnelle que je trouve ce rapport à La Réunion, que je trouve l’exil. Si bien qu’il n’y a pas volontairement de personnages qui soient davantage écrivains que d’autres. Pour moi, tous les personnages, c’est moi. Aussi bien celui de La Morte saison que celui du Bleu des vitraux, ou celui des autres livres.

SH : Si ces personnages correspondent à l’écrivain, donc à toi, en quoi est-ce qu’ils racontent ton parcours, ton rapport « entre-deux » avec l’île et le continent ? La manière dont ils habitent à la fois la France continentale et l’île de La Réunion d’une époque déterminée, des années 1950 en général, est-elle symptomatique de ce rapport ?

JL : Parce que ça été les années de mon enfance, et que pour moi l’écriture consiste avant tout à essayer de me découvrir moi-même, me revivre moi-même. On a parlé d’exil, et justement mon expérience de l’exil est d’une nature tout à fait différente de celle de Monique, et on peut dire également de celle de Nabile Farès, on le verra… De La Réunion, j’ai le souvenir, à la fois d’un enfer, et d’un paradis. La Réunion, j’ai voulu la quitter, et une fois que je l’avais quittée, je ne voulais plus y revenir. Je l’avais vraiment refoulée de moi, et c’est par le hasard de l’écriture que je l’ai retrouvée. C’est en commençant à écrire – sans m’apercevoir à quel point tout ce passé que j’avais voulu refouler pour des tas de raisons était présent en moi – que je me suis rendu compte que tout ce passé était effectivement présent en moi, mais à un niveau qui n’était pas atteignable autrement que par l’écriture.Maisune écriture qui ne rend pas compte d’événements réels, mais qui s’appuie toujours sur des événements réels comme point de départ, uniquement comme point de départ émotionnel… comme tremplin. A partir de là, c’est une espèce de laisser-aller de l’imaginaire dans lequel mon moi conscient n’exerce pas de contrôle, et c’est le mot qui attire le mot, c’est la scène qui attire la scène, sans qu’il y ait volonté précise de créer une histoire, de créer un univers. Pour moi, l’acte d’écrire est une espèce de thérapie. Je ne crois pas du tout à la thérapie de l’écriture, je crois que la thérapie c’est bien autre chose, mais je crois que c’est un peu une façon de prendre conscience, pour moi, d’un moment de mon existence qui a été, à la fois extrêmement heureux et extrêmement malheureux, et avec une intensité telle que je l’ai refoulé. Et c’est ce refoulement, à l’intérieur de moi, cette réalité intérieure, cette présence du moi intérieur que j’essaie de rendre à travers mes bouquins.

SH [ CD I, piste 5 ] : Avant de poursuivre, notamment sur la question de l’exil, je voudrais m’adresser à Nabile Farès et rebondir sur ce que disait Jean Lods. Nabile Farès n’est pas né à La Réunion et n’y a pas vécu, il est originaire d’Algérie. Et, ce qui m’intéressait dans cette rencontre de ce soir où sont présents des auteurs de La Réunion et de l’Algérie, c’était justement de voir si leurs points de vue, malgré leurs origines respectives, pouvaient proposer des points de rencontres. Par exemple, j’aimerais demander à Nabile Farès si pour lui aussi, comme l’a dit Jean Lods, écrire est une manière de prendre conscience de son « existence heureuse et malheureuse », ou « heureuse ou malheureuse », dans un espace dans lequel il a habité, et dans lequel il n’habite plus désormais.

Nabile FARES : Par rapport à ce dont vous venez de parler, sur l’importance du cinéma dans l’enfance, et puis l’importance de la mémoire dans l’enfance pour quelque futur disons… Il y a des ancrages comme ça, du décalage, et je peux me rappeler que, par exemple dans le petit village dont je parle dans mes livres – le petit village d’Akbou (en Kabylie) –, lorsqu’on était très jeune, il y avait quelque chose qui me surprenait beaucoup, parce qu’il n’y avait pas de cinéma. Il n’y avait pas de cinéma, et le cinéma débarquait – c’était dans les années d’une après-guerre et d’une avant-guerre… C’était un moment de respiration assez banale, mais dont les enfants étaient très friands. Et alors, ce qui se passait, c’est que le cinéma arrivait une fois par mois sur la place du village. Il arrivait, il s’installait, ils mettaient l’écran comme un linge, et ce qui nous passionnait, c’est qu’il y avait toujours un peu de vent. Alors ils [les films] étaient dans une ondulation… alors on rêvait avec eux… on s’en foutait, on s’en foutait ! On entendait des trucs, on voyait des cavaliers, parce qu’ils nous prenaient des films toujours très extérieurs à l’Algérie. Il a fallu attendre très longtemps, dans le contact avec la scolarité cette fois, pour que le cinéma intervienne d’une façon très forte et autre. Parce qu’on a eu en Algérie, dans les années qui ont précédé une autre guerre, dans les années 1950… On avait dans les deux lycées qu’on a pu fréquenter – il n’y avait pas beaucoup de lycées en Algérie, il y en avait trois ou quatre –, qui étaient le lycéeBen Aknoun à Blidaet ensuite le lycéeDuveyrier…la profondeur du nom… Duveyrier qui était un lycée Napoléon III, implanté là-bas avec force, avec la grande Cour. Et, à Alger, de la même façon, on a eu accès à des films très forts. On a eu accès à Nuit et brouillard. Mais en Algérie, on a toute une école qui était quand même très différente quand on était au lycée, de celle qu’on avait dans les lieux de village où on passait le certificat d’études ou des choses ça. Donc, le contact avec la culture, et je vais y venir, a été constructif et puis en même temps dissolvant. Pour nous, la question de la langue a été primordiale. La question du paysage l’a été aussi, mais parce que les paysages ont été des points de langues, des points de langues et des points de langues oubliées, qu’il a fallu oublier vers la scolarité et s’inscrire dans ce qu’on appelle cette langue française. Pour venir à travers ces blocs de mémoire qui sont là, et que l’écriture ravive d’une certaine façon parce qu’elle nous remet dans la possibilité d’ancrer une temporalité personnelle, et que ce déchirement dont vous parlez entre ces deux moi, ce moi, comme le disait Proust ce « moi conscient » et puis l’autre qui demeure… Je dirais que pour ma part je vous entends très bien, et que c’est de ce lieu là que l’on peut, et que j’écris. En tous les cas, à propos des personnages qui ne sont pas moi, mais qui sont des ruptures de réel et des personnes qui ont disparu. Et ma difficulté, c’est de faire en sorte que ces personnes disparues puissent entrer dans la fiction, qu’il leur soit accordé d’entrer dans la fiction, de continuer leur voyage à travers ça. Donc, il y a le cinéma, puis l’écriture. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé votre façon de dire que le scénario est primordial. Il y a quelque chose que nous enseigne le cinéma, c’est le scripte et la scripte : c’était surtout un métier féminin… Il y a un scripte au cinéma qui nous aide à savoir où on est, parce qu’au cinéma, quand vous changez ça ou ça, ça fait du surréalisme tout de suite…

SH : Puisque vous avez tous parlé d’ « expérience de voyage », est-ce que tu pourrais nous dire, Nabile, quelques mots sur ton « voyage » à toi ? Sur la manière dont il s’est déroulé depuis ton enfance ? Qu’est-ce qui t’a conduit à écrire cette expérience, ce « voyage » ?

NF : Vous vous rendez compte, il faut que je tienne compte de mon âge actuel, puis refaire la traversée. Je pourrais dire qu’elle est multiple et je n’ai pas eu à me déplacer pour voyager. Déjà, le sol avait fui. Et puis on a été une famille qui, selon les aléas d’un père qui faisait de la politique, s’inscrivait politiquement dans cette Algérie. On a pu avoir des aspects très différents. Donc moi, j’ai vraiment plusieurs mémoires, […] plusieurs lieux diffractés comme ça, que je laisse vivre d’ailleurs. Ce qui m’intéresse, c’est comment le point vide de l’écrit permet de mettre en rapport des choses qui auraient été distendues ou complètement anachroniques en même temps, et puis qui n’avait peut-être rien à voir. Et on se rend compte certaines fois, que l’histoire trace des choses plus tard pour montrer combien ça avait montré à voir, et qu’on n’y a rien vu… que ça a fait des montages différents. Moi je suis plus dans les montages : de lieux, de paysages, d’enfance, d’adolescence qui sont vraiment multiples. Quand tu me parles de raconter le voyage, ces voyages ils sont superposés. C’est plusieurs couches de voyages qui sont très différents. Qui sont très différents : il y a eu le voyage d’agrément, dans les années 1949, quand on est venu avec les parents et qu’on a pris le bateau pour la première fois… Et arrivé à Marseille, quand il y avait des trames et puis qu’on nous a appelé « pitchoun ». Ça c’était bien – on avait d’ailleurs vu un oncle qui lui, malheureusement, va disparaître dans la guerre… Et après, ça été le voyage dont on a compris que c’était un voyage d’exil. Ça a été le voyage pendant la guerre, où certains, les Algériens, fuyaient la guerre en Algérie et venaient en France. C’est le grand paradoxe. Et puis la guerre s’est déplacée, il a fallu repartir et repartir encore, et les bouleversements actuels vous obligent à penser cette histoire d’exilés, d’émigrés, de cultures insatisfaites, non reconnues, toutes ces histoires là, surtout quand on vient du monde berbère, kabyle… il y a toujours des choses très accrochées qui demeurent.

SH [ CD I, piste 6 : Il n’y a pas eu à La Réunion, bien sûr, de guerre équivalente à la guerre d’Algérie –aucune guerre n’est équivalente à une autre. Mais est-ce que votre démarche, Monique Agénor et Jean Lods, rejoint un peu celle de Nabile Farès ? Est-ce qu’à un moment dans votre « voyage », vous avez fuit quelque chose… fuit quelque chose de La Réunion qui ne vous convenez plus ? Et est-ce que l’écriture intervient comme un moyen de pouvoir revenir sur cette fuite, ou sur ce départ ?

MA : Oui, il y a eu quand même une sorte de fuite, bien que je ne veuille pas le reconnaître. Tout simplement parce que vivre dans un île, enfermée, sans trop d’espace autour de soi, fait qu’il arrive un moment, quand on a dix-sept ou dix-huit ans, où on ne pense qu’à une chose, c’est de fuir. En fait, qu’est-ce qu’on fuit ? On fuit ses parents, on fuit ses amis, on fuit l’île parce qu’on a envie de vivre sa vie, on a envie de se construire soi-même, on a envie de faire les choses en dehors de toute la parentèle qui vous suit pas à pas. Donc, je peux considérer quelque part qu’il y ait une fuite, mais en même temps, peut-être pas tout de suite après le départ, mais quelques années plus tard. C’est là où je me suis finalement rendue compte que La Réunion m’avait offert beaucoup de choses… Il faut que je reconnaisse que j’ai eu une enfance formidable – l’adolescence, un petit peu moins bien. Mais quand j’ai commencé à voyager en Europe, en France, dans tous les pays européens et tout autour de la France, finalement, j’ai compris que ce que j’allais chercher ailleurs je l’avais chez moi. J’avais des communautés chinoises, des communautés indiennes, des communautés africaines, des communautés malgaches, et tous ces gens m’avaient apporté énormément quand j’étais enfant. C’est incroyable. J’avais des familles chinoises qui m’ont appris à participer à toutes les fêtes qu’il pouvait y avoir : les fêtes du dragon, etc. Je voyais la marche sur le feu avec les Indiens… il y avait encore les danses jacquot extraordinaires. Vraiment ça a été quelque chose qui a marqué mon enfance d’une façon très forte. Et donc, je me suis dit, finalement pourquoi est-ce que tu as fui comme ça ? C’était aussi simple de rester là et d’aller au plus profond de ce pays que je connaissais mal, tout simplement. Quand on vit dans un pays, on voit mal les choses autour de soi, on ne les voit que bien plus tard. Et c’est pour ça que c’était finalement important de partir : parce que le fait de s’éloigner d’un pays nous permet de nous comprendre, de travailler sur nous, de se construire sa propre personnalité sans avoir besoin de l’aide des parents ou de la famille. C’est donc en ce sens, je crois, que j’ai aimé voyager. Et c’est bien plus tard que j’ai compris que La Réunion m’intéressait énormément. Et plus j’avance en âge, plus il est important pour moi de retrouver La Réunion. Mais par parcelles, un petit peu comme une mosaïque, par petits bouts… mais aller au plus profond de ce que je peux faire. Et je dois avouer que je découvre à chaque fois que je retourne à La Réunion – j’y retourne tous les ans – quelque chose qui m’enrichit, qui m’apporte énormément… Mais évidemment, à côté desquelles j’étais passée quand j’étais plus jeune. Mais c’était important aussi de partir.

SH [ CD I, piste 7 ] : Je voudrais rester sur le thème de la fuite et ce qu’on exprime après le départ. Mais, avant d’avoir le point de vue de Jean Lods, je voudrais vous proposer une seconde lecture, celle d’un passage clé du Bleu des vitraux de Jean Lods où « Yannou », le personnage principal et narrateur du livre, se retrouve soudainement abandonné par sa mère. Il y a un double mouvement étrange dans Le Bleu des vitraux : il y a à la fois la fuite de la mère qui provoque un trouble chez l’adolescent, et puis plus tard il y aura cet adolescent qui reproduira le mouvement de sa mère en fuyant à son tour l’île :

Lecture par Ludovic Pirazzoli [ CD I, piste 8 ] :

‘[…] Le père terrifié éperonne son cheval
Il tient dans ses bras l’enfant haletant
Atteint sa demeure, épuisé, en détresse.
Dans ses bras l’enfant était mort.
(Jean Lods, Le Bleu des vitraux, Paris, Gallimard, 1987, p. 158 à 163)’

SH [ CD I, piste 9 ] : Je voudrais revenir sur cet extrait : il m’a semblé intéressant pour deux raisons, deux fuites. On assiste d’abord à la fuite de la mère perçue par l’enfant qui ne comprend pas très bien ce qui se passe, et ensuite à celle du père qui décide de protéger son fils en l’embarquant dans cette autre fuite vers les montagnes de l’île. La question de la fuite, à mon sens, permettait de poser celle de la perte : comment l’enfant perd sa mère ? Comment à partir de cette première perte, de ce premier trouble, il perdra lui-même son rapport à l’île, et l’île elle-même qu’il décidera de quitter pour ne plus jamais y revenir ?

JL : D’une manière générale, tous mes bouquins sont basés sur la perte. Et là justement, il s’agit d’une perte particulièrement forte puisque c’est la perte de la mère, et à travers la reprise du texte de Goethe, c’est la métaphore de la mort de l’enfant provoquée par la perte de la mère. A partir de cela, l’enfant ne sera plus jamais le même. C’est à partir de cette mort symbolique, c’est à partir de là qu’il va se dresser contre son père et qu’il va décider de partir. Et je crois que pour moi, dans cette représentation, ce personnage représente assez… il est assez caractéristique de ma propre situation par rapport à l’île, de cette volonté de partir parce qu’il y a une situation dramatique telle qu’on ne peut plus rester. Je disais tout à l’heure que lorsque j’avais quitté La Réunion, je l’avais en quelque sorte refoulée de mon conscient, je l’avais éloignée de ma pensée présente. Et, il y a dans Le Bleu des vitraux, au début du livre, une description de cette posture ; lorsque le personnage dit : La Réunion, je ne voulais plus en parler en public. Mais pour en parler, je me mettais chez moi, je tirais les rideaux, seul dans ma chambre, alors je laissais La Réunion ressortir de ma mémoire comme un océan. Je crois que c’est exactement ma posture par rapport à La Réunion. La Réunion, pour moi, est devenue une île… une île qui pendant très longtemps n’a existé que par le langage. C’est devenu en quelque sorte un lieu-dit. Pour beaucoup d’exilés, l’objet de leur exil est un lieu qui existe encore ; pour moi, c’est un lieu qui avait cessé d’exister, qui n’existait plus… qui n’existait qu’à l’intérieur du livre, à l’intérieur de l’œuvre. Et d’ailleurs, aussi bien La Morte saison que Le Bleu des vitraux, je les ai écrits sans être retourné à La Réunion. J’avais quitté La Réunion après mon bac, et je n’y étais pas retourné. J’ai donc écrit ces livres sans retourner à La Réunion et sans, du tout, prendre le moindre renseignement, vérifier la moindre donnée, faire appel à la moindre archive. Ce n’était pas du tout le but. Mon but ce n’était pas de créer un roman réaliste, c’était de faire des romans qui soient entièrement puisés dans ma mémoire, c’est-à-dire dans ce qui m’avait formé, dans ce qui avait été infiniment douloureux pour moi à La Réunion.

SH : Puisque tu parlais de l’île qui n’existe dans ton livre que par le langage, j’aimerais interroger Monique Agénor au sujet de cette problématique dans ses œuvres, au sujet du rapport entre l’île et le langage... A ce propos, tu as fait le choix, Jean Lods, d’écrire tes livres en français et non pas en créole : est-ce que c’est une démarche qui est venue naturellement, ou est-ce que ça relève d’un choix délibéré ?

JL : Je pense que ça va vraiment aller à contre courant de la grande tendance réunionnaise actuelle, mais je ne suis personnellement pas du tout favorable au développement d’un créole écrit. Je pense qu’un écrivain a besoin d’être connu dans un large cercle et que celui qui écrit en créole est voué à être lu par trois cents ou quatre cents personnes. Ceci dit, je considère qu’il y a des tentatives très intéressantes qui sont d’ailleurs faites par Monique, ou par Samlong ou par Gauvin, et qui consistent à prendre dans la langue orale créole ce qui fait sa richesse. C’est-à-dire, une très grande richesse en images, une très grande créativité et des termes extrêmement poétiques… Et ça, on le trouve constamment dans l’écriture de Monique, et ça, ça donne un relief, ça donne une chair tout à fait particulière, mais qui est parfaitement acceptable par n’importe quel lecteur français. On se dit : « tiens, là il y a l’écriture ». C’est toujours une question personnelle : j’ai parlé créole quand j’étais enfant, mais entre le moment où j’ai quitté La Réunion et le moment où j’ai commencé à écrire, il s’est passé quand même pas mal d’années et, pour moi, le créole était devenu une langue un peu morte. Je pense qu’il faut passer de l’image, de l’émotion au texte. Ce que Bakhtine appelle passer du sensible à l’intelligible : une espèce de mystérieuse alchimie qui passe par la langue, qui passe par la possession de cette langue et du mot, et qui suppose que l’on a en sa possession une langue extrêmement forte et vivante, et le créole était trop mort pour moi pour que je puisse l’utiliser.

SH [ CD II, piste 1 ] : Monique Agénor, le créole était pour toi au départ une « langue morte » que tu as voulu faire revivre dans tes livres, ou à l’inverse c’était une langue trop vivante qui a pris le dessus sur le français que tu écris dans tes livres ?

MA : Non, le créole n’a jamais été une langue morte pour moi. J’ai toujours aimé le créole. Autant que je peux, même à Paris, si je rencontre des Réunionnais de passage, on essaie toujours de se parler en créole. Cela dit, je suis d’accord avec toi [Jean Lods] : écrire un livre uniquement en créole, c’est très compliqué, ce n’est pas faisable pour le moment, tant que le créole n’aura pas une vraie grammaire, tant que cette langue n’aura pas une vraie syntaxe… C’est difficile de le transposer dans l’écrit. Par contre, ce qu’on peut faire, c’est essayer, comme tu le disais [Jean Lods], de glisser le créole dans le français. Et c’est formidable parce que ça peut enrichir les deux langues. La langue française, si on ne s’en occupe que dans le rapport académique, elle risque de se scléroser, alors qu’avec le créole, le créole va interférer avec le français. Il n’est pas vraiment intégrer, mais le fait que deux langues se rencontrent, deux langues se confrontent, deux langues se heurtent même donnent, redonnent un sens à l’écriture. C’est ce que j’ai essayé de faire. Mais Bé-Maho est particulier parce que Bé-Maho, comme j’ai écrit sur les « p’tits blancs des Hauts »… J’en parle avec beaucoup de tendresse, parce que j’ai vécu les dix premières années de ma vie à Hell-Bourg, parmi tous les « p’tits blancs des Hauts » : Bé-Maho, c’était à l’époque le nom malgache du village, et puis ça s’est traduit par « Hell-Bourg » parce que le nouveau gouverneur s’appelait Monsieur Hell, et qu’il a tenu à ce qu’Hell-Bourg s’appelle « Hell-Bourg »… et non plus « Bé-Maho » qui était un mot sauvage de Madagascar. Donc, parmi les « p’tits blancs des Hauts », le créole que j’ai parlé, c’est ce créole là : c’est-à-dire un créole francisé, parce qu’il y a plusieurs niveaux de créole. Ceux qui connaissent La Réunion, qui sont Réunionnais le savent, on a au moins trois niveaux de créole : il y a un créole très francisé, il y a un créole moyen, il y a le gros créole… On fait donc une petite distinction… Mais les dix premières années de ma vie, j’ai vraiment parlé le créole francisé. Or, c’était quoi le créole francisé ? Parce que tous ces « p’tits blancs des Hauts » qui se sont réfugiés dans les montagnes étaient des Français : de Normandie, du Poitou, de Charente, etc. de toute la côte ouest de la France, et qui se sont réfugiés à La Réunion. Une fois là, ils n’ont pas voulu, comme ils n’avaient pas d’argent – par rapport aux colons français je veux dire, par rapport aux « grands blancs »… je m’excuse de parler de « grands blancs », ce n’est pas du tout un terme péjoratif, mais ce sont les « grands blancs » c’est-à-dire les […] corsaires, pirates, etc. qui sont arrivés avec beaucoup d’argent, qui se sont installés, qui ont pris toutes les terres, qui ont bâti des belles maisons… Et ces petits blancs ne voulaient pas se trouver au même niveau que les esclaves, c’est-à-dire travailler, être salariés des « grands blancs ». Donc, ils ont été marrons comme les noirs qui quittaient la société de plantation, qui voulaient fuir l’esclavage. Donc ils sont montés dans les Hauts, entre autres à Hell-Bourg, qui est une vallée enclavée dans les montagnes. Ils se sont réfugiés là avec leurs propres valeurs, avec leur[s] propre[s] langage[s], avec leur[s] propre[s] culture[s], et c’est ainsi que le créole francisé est né. C’est-à-dire qu’avec tous ces dialectes régionaux, il fallait bien faire quelque chose pour qu’on puisse se comprendre. Le Normand ne comprenait pas le Poitevin, etc. Le créole est né comme ça. Y compris, bien entendu pour les noirs marrons qui venaient aussi dans les montagnes… Ils ont donc tous réussi à créer une langue qui est un français créolisé, ou un créole francisé, et c’est celui-là que j’ai parlé. C’est pour ça que dans Bé-Maho, j’ai beaucoup tenu, puisque l’action se passe dans cette partie de l’île, en dehors du récit qui est en français, j’ai tenu à ce que tous les dialogues soient des dialogues en créole (mais suffisamment compréhensibles pour le Français, puisque c’est un français créolisé, ou un créole francisé). Bé-Maho est donc relativement facile à lire, et puis, j’ai quand même mis un petit glossaire à la fin du livre pour que les gens puissent se retrouver dans des mots typiquement créoles. C’est ce que j’ai voulu faire dans Bé-Maho… Ensuite Vol de papang’, c’était un petit peu… J’ai voulu y être le plus proche possible de la langue malgache, bien que je ne la parle pas du tout.

SH [ CD II, piste 2 ] : A priori, la question du créole ne rejoint pas forcément les problématiques des littératures maghrébines d’expression française, pourtant je trouve qu’il y a quelque chose d’intimement lié : Jean Lods parlait tout à l’heure du problème du lectorat, et disait qu’écrire en créole c’était se faire comprendre par un public limité… Ce qui me fait penser à la démarche de Nabile Farès dont les textes ont la réputation d’être opaque. Je lisais une phrase de Nietzsche, et je pensais à l’écriture de Nabile Farès ; Nietzsche dit dans Le Gai savoir : « on ne tient pas seulement à être compris quand on écrit, mais tout aussi certainement à ne pas l’être ». Je souhaiterais savoir si, Nabile Farès quand il écrit, tient à être compris, et par qui ? Ou bien tient à ne pas être compris, et par qui ? J’ai un autre exemple : je pensais à une citation du champ des Oliviers, où Brandy Fax, le protagoniste du livre, parle à un moment de « ce poème du chuintement, ce poème du chuintant… De la voyelle qui dissimule notre langue… De la voyelle qui fait persister notre langue ». Cette phrase me faisait penser à la persistance de notre langue – du créole – de Monique Agénor par exemple.

NF : Il n’y a pas exactement la question du créole en Algérie ou au Maghreb. Il y a eu la question du Sabir par exemple, à un certain moment...

MA : De langage métissé en fait…

NF : De langage métissé, mais qui touchait toute la Méditerranée. Mais les problèmes sont peut-être différents parce qu’il y a des conflits de cultures qui sont sous-jacents aussi à des lieux de régions et puis des lieux du politique. Mais, pour reprendre la question, il y a quand même quelque chose, moi, qui m’intéresse dans la différence, dans l’écriture, dans l’écriture romanesque ou l’écriture poétique : c’est que le monde nous est devenu opaque, le monde nous rentre dedans. Le monde nous rentre dedans, il nous effracte. Il ne nous permet pas d’être immédiatement dans la compréhension du monde comme on pouvait l’être, dans la restitution des grands romans, etc. Il y a quand même quelque chose dans cette rupture de l’écriture, qui fait que ce monde devenu opaque et heurtant – et les personnages en portent la marque… Et lorsqu’on ne comprend pas, c’est que vraiment c’est difficile de comprendre par ce qui vous arrive ; et pourquoi ça vous arrive ? Et de cette façon : comment ça vous arrive ? Quand il y a des négations aussi profondes, des existences dans la parole, dans la sensibilité, dans le paysage, ce n’est pas facile d’y exister. Et donc cette incompréhension elle est cruciale. Elle n’est pas anodine. La transformer simplement comme une façon d’écrire... Pour moi, ce n’est pas simplement des modes de l’écrit : quelque chose se passe autour des modes de penser. Et comment il y a des façons de penser : pensez à la métaphore, par exemple, et ce que vous permet le créole et ce passage que vous dites de l’image au mot, du glissement, et de cette alchimie qui se fait à un certain moment. Pour essayer de rapprocher ce qui vient du corps, avec ce qui arrive de l’événement ou du réel – il y a une vraie question : ce n’est pas simple d’être un corps dans le monde et de recevoir ce qui vient d’histoires qui sont dans des négations du corps… Pour ma part, les personnages sont travaillés par cette question : qu’est-ce qui a été nié de leurs corps ? Qu’ils soient enfants, vieillards, femmes, jeunes filles... C’est à travers la négation du corps que se fait l’inexistence. Il s’agit de transformer à travers la négation la possibilité de l’inexistence. Donc, c’est ça : ce monde je ne le comprends pas…

SH : Alors, restons sur la question du « monde opaque et heurtant »… Il y a une question que je souhaitais te poser, et qui concerne justement ce « monde opaque et heurtant » : la trilogie de La Découverte du Nouveau Monde, entre l’Algérie et la France, et plus généralement entre des rives de l’Occident et de l’Orient, retrace l’histoire difficile du peuple berbère qui se retrouve pris, à différents moments de son Histoire, soit entre les colons européens et leurs cultures, soit entre les musulmans – tu retraces par exemple le mythe de la Kahéna dans Mémoire de l’Absent

NF : C’est un mythe qui existe, ce n’est pas simplement un mythe. Les personnes donnent des noms à leurs enfants qui naissent. Ils leur donnent des noms qui sont d’origines antiques, et puis on peut dire même très anciennes. Et il y a eu une politique – on l’ignore par exemple –, mais il y a eu une politique pour ces personnes qui venaient à l’état civil nommer un enfant, on leur disait non. L’Etat avait son état civil. Il avait ses noms… Ça se passait pour les noms juifs aussi, puisque c’est un pays, quand même, qui est porteur de cette histoire là. Pour appeler sa fille Sarah, on ne le faisait pas facilement : il fallait négocier…

SH : « Négociation », le terme est approprié…

NF : Le prénom ! La prénomination

SH : Je m’interrogeais sur le rapport du livre au monde, à l’opacité du monde, et à la manière dont le livre pouvait être en prise avec ce monde : lorsque tu écrivais entre 1972 et 1976 la trilogie de La Découverte du Nouveau Monde – qui comprend Le champ des Oliviers, Mémoire de l’Absent et L’exil et le désarroi – est-ce que des événements politiques particuliers de cette époque là t’avaient incité à écrire sur une histoire bien antérieure, qui remonte même à celle de la Kahéna ? Pourquoi à ce moment là de l’Histoire, dans les années 1970 donc, écrire sur quelque chose de bien plus ancien ?

NF : Il y a une illusion qui peut constituer l’écrivain, ou les personnes de culture, c’est : qu’est-ce qu’ils peuvent transmettre ? Qu’est-ce qu’ils peuvent transmettre à travers des désastres quand ils ont eu lieu ? C’est simplement des remises en chantier. Comme par exemple cette mémoire qui revient : remise en chantier de ce qui a existé, qui persiste et qui, lorsqu’il est nié, fait des explosions assez radicales. Mais je veux dire un mot sur l’opacité : ce n’est pas que le monde soit des ténèbres... L’opacité, c’est la violence qu’on fait subir, c’est ça. Qu’est-ce que ça veut dire cette violence et d’où elle vient ? Et c’est vrai que, lire à travers cette opacité… c’est pour ça que j’aime bien les textes de Glissant sur lire dans les ténèbres, lire dans l’opacité, la parole opaque, la parole de nuit. Surtout si on va à travers ce qui s’est passé dans l’esclavage : renouer avec cette histoire là les deux bords, et en faire quelque chose. Ce n’est pas rien que d’y entrer, pour essayer de savoir ce qui s’est passé dans cette violence là : en quoi ça a fait des éclaboussures aussi totales ? Cette opacité, elle est abordable mais elle est difficile. Elle demande toujours à ne pas être renoyée par des considérations trop faciles sur ces lieux là.

SH [ CD II, piste 3 ] : Ce que j’ai désigné par « opacité » dans les textes de Nabile Farès, dans ceux de Monique Agénor, je le désignerai par « silence » : est-ce que c’est cette même préoccupation de dénoncer les violences que l’on a fait subir aux hommes qui t’a incité, dans les années 1990, à émettre un discours sur l’année 1942 ? Sur une période de résistance, une période charnière pour l’Histoire de La Réunion ? Mais également, sur la colonisation de Madagascar, et sur la manière dont les premiers Malgaches, dans Comme un vol de papang’, sont entrés dans l’Histoire de La Réunion, pour contribuer au métissage de l’île ?

MA : C’est-à-dire que l’histoire de Madagascar nous concerne aussi, puisqu’une grande partie de la population de La Réunion est malgache, exilée d’une façon brutale puisque Madagascar a été colonisée lorsque Gallieni est entré dans Madagascar. Comme il a eu peur de la reine Ranavalon, il l’a exilée à l’île de La Réunion. Et ce qui m’a donné l’envie… ce qui m’a poussé à m’intéresser à l’histoire de Madagascar, c’est que lorsque j’habitais à Saint-Denis, je n’habitais pas très loin de la maison où la reine avait été envoyée en exil. Et ça a été important pour moi de raconter l’histoire de la petite fille, de l’affranchie de la reine Ranavalon. Alors, mon roman est basé sur des faits réels. Son esclave préférée, elle l’a affranchie et cette femme a été partie prenante dans la résistance de Madagascar. C’est compliqué à expliquer… Tu parlais d’opacité et de choses comme ça…

SH : Est-ce que ça correspond à un projet politique ou à un engagement politique de faire le choix d’écrire sur la résistance contre le régime de Vichy ? Ou d’écrire sur l’histoire de la résistance contre l’oppression française à Madagascar ?

MA : Non, je ne pense pas que j’ai été vraiment poussée par ça. La résistance à La Réunion a été une chose, la résistance à Madagascar en a été une autre. Tout est venu lorsque Herminia – qui est le personnage principal de Comme un vol de papang’ – se fait voler un manuscrit. Or, Herminia est une femme qui s’était laissée entièrement absorbée par sa grand-mère, l’affranchie de la reine Ranavalon donc. La perte de ce manuscrit pour Herminia est très importante pour elle : c’est aussi la perte de Madagascar par la reine Ranavalon. J’ai voulu jouer là-dessus. Et la résistance que les Malgaches ont opposé aux Français veut dire que ça rappelle un petit peu aussi la résistance des gens de La Réunion pendant la guerre, pendant 1942, mais, pour moi, dans mon esprit, c’est vraiment différent. Je ne fais pas du tout le rapport entre les deux.

SH : Ma question correspondait surtout à : est-ce qu’avoir écrit ces deux histoires – qui sont parallèles ou pas, effectivement ces deux formes de résistances n’ont rien à voir –correspondait pour toi, en tant qu’écrivain, à un choix politique fait pour l’île ? Influencer une pensée ? Créer une nouvelle manière de penser dans l’île ? Créer un nouveau rapport à l’espace ? Créer un nouveau rapport à la politique ? Inciter à la résistance (contre quoi ?) ? Ou bien est-ce que tu te dégages complètement de ces principes là ?

MA : Je ne pense pas écrire des livres militants, politiques. Si l’Histoire avec un grand « H » m’intéresse, c’est parce qu’à un moment donné de cette Histoire, les personnages qui font partie de cette Histoire… La grande Histoire peut les révéler à eux-mêmes. On les retrouve alors tels qu’ils sont – que ça soit pour La Réunion ou pour Madagascar… Je ne suis pas un écrivain engagé, je veux dire que je ne suis absolument pas une militante. Tout simplement, j’avais envie de raconter l’histoire d’un peuple, que ça soit Madagascar ou que ça soit La Réunion, à un moment donné de son Histoire. Et, c’est raconté en tenant compte de certains événements qui ont été réels, avec des dates… Mais il y a quand même tout un côté romanesque et fictionnel qui fait partie de mon imaginaire. Et en fait, c’est là-dedans que je me suis plongée.

SH [ CD II, piste 4 ] : Jean, tu disais tout à l’heure que ton écriture était plus personnelle, plus « égoïste » : est-ce qu’il y a malgré tout un rapport entre ce que tu écris et une certaine pensée politique. Est-ce qu’il y a par exemple un engagement idéologique vis-à-vis de l’île ou de la métropole, ou de l’île et de la métropole, vis-à-vis du rapport qu’entretiennent entre eux ces deux espaces ?

JL : Je crois que mes personnages n’ont aucune carte de parti, mais je crois qu’en même temps, mes œuvres donnent une certaine vision d’un monde colonial à une époque [in]déterminée. Et je crois que sur ce point là, elle est assez précise. Mais, étant donné que la plupart de mes romans se passent à travers des regards d’enfants, La Réunion est toujours vue à travers ce regard d’enfant. Il n’y a pas d’analyse politique, mais il y a quand même, sous-jacente, une critique permanente du monde colonial de l’époque. Justement des gros blancs dont tu [Monique Agénor] parlais tout à l’heure, des usiniers, de ce clivage entre deux classes extrêmement séparées et de niveaux extrêmement différents. Mais, toujours vus à travers le philtre du regard d’enfant qui ne juge pas, qui ne comprend pas, et qui ne fait que voir et retranscrire cette différence qui existe. Par exemple : entre la famille des Toulec et la domesticité, et la petite fille que Yannou va voir au Butor et avec qui il a ses premiers émois sexuels (Le Bleu des vitraux). Ce n’est pas vraiment une réflexion politique, mais c’est un regard.

SH [ CD II, piste 5 ] : C’est un peu brutal, je m’en excuse, mais avant de conclure je voudrais encore poser à chacun d’entre vous une même question qui rejoint quelque part ce dont nous étions en train de parler – le « monde opaque », votre place dans ce monde, etc. – et qui concerne notamment la place que vous pensez occuper dans l’espace de la francophonie et des littératures francophones. Par exemple, pour Monique Agénor, est-ce que tu penses davantage occuper une place dans le champ d’une « littérature réunionnaise » ou bien dans le champ d’une « littérature francophone » ? Ou si non, entre ces deux espaces, entre « francophone » et « réunionnais », lequel ?

MA : Pourquoi « espace de La Réunion » et « espace francophone » ? Ça peut être un espace mondial ? Ecrivain réunionnais, oui bien sûr, je suis née à La Réunion, j’écris sur La Réunion, je suis un peu obsédée par elle parce que je l’ai quittée. Je m’en veux. C’est comme si je l’avais trahie. Donc, pour moi c’est important que je puisse quelque part me penser « écrivain réunionnais ». Cela dit, « écrivain francophone », mon dieu, pourquoi non ? Mais peut-être en pensant que La Réunion se trouve dans un espace francophone. Mais la francophonie, évidemment, a beaucoup de détracteurs. Je dis ça parce qu’il n’y a pas très longtemps, j’ai rencontré des écrivains africains, et ils sont vraiment furieux qu’on puisse les mettre dans un espace francophone. Pour eux, la France veut les récupérer par le biais de la francophonie littéraire – je ne parle pas de le francophonie politique. Ils aimeraient mieux qu’on se dise tous qu’on est « écrivain », point. Et même les écrivains français, que ce soit parisiens, etc. sont « écrivains » tout court. C’est un petit peu dans cette optique là que je vois les choses.

JL : Je partage un petit peu l’avis de Monique. J’ai le sentiment d’écrire des romans français qui se passent à La Réunion. Mon cas est quand même particulier, dans la mesure où je ne suis pas d’origine réunionnaise, je ne suis pas né à La Réunion. Quand je suis parti, personne de ma famille n’est resté : on a vraiment été coupé.Ce sont donc des romans sur La Réunion vus depuis la France que j’écris ; du moins vus par un écrivain uniquement français. Ceci dit, c’est lié à un mon manque d’identité personnelle. Mais il y a une question que je voudrais poser, c’est : « qu’est-ce que c’est qu’être Réunionnais ? » Et, j’ai l’impression dans une certaine mesure d’écrire des romans réunionnais, et qui sont assez bien reçus par les Réunionnais, parce que le thème fondamental de mes romans est la quête d’identité. Il me semble que c’est le gros problème qui se pose à La Réunion actuellement, c’est la quête d’identité. Et ce que je crains un peu, c’est qu’une recherche identitaire trop poussée aboutisse à un appauvrissement. Tu m’avais posé comme question, justement, celle de la présence fréquente de l’Europe et d’éléments européens à l’intérieur de mes romans… Je pense que ceci est un peu « une question de Réunionnais ». Parce que je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas de citations… la culture est universelle. Je ne vois pas pourquoi on couperait des choses sur un roman réunionnais parce que ça ne se passe pas à La Réunion.

SH : Je trouvais ce point intéressant non pas parce que tes romans se déroulent à La Réunion, mais parce qu’il y a un échange entre ces deux espaces, l’île et le continent…

JL : De plus en plus, je trouve que la culture doit être « universelle ». On parlait beaucoup de cinéma, qui est vraiment pour moi le type même de la culture universelle, comme la musique. Et qu’un film comme Le Désert des Tartares, un roman italien (de Dino Buzzati) qui se déroule dans un désert en Iran, je trouve que c’est vraiment la preuve d’une interpénétration. De même que lorsque Orson Welles tourne Othello au Maroc… Pour moi, c’est ça la véritable universalité de la culture, et c’est à ça qu’il faut arriver.

NF : Je crois que là-dessus je n’ai pas tellement de choses à dire, parce que se sont des [ballancinences], on se mêle de beaucoup de choses. Mais c’est vrai aussi que les marques, qui sont comme des cicatrices, des blessures de départ, ne peuvent pas être niées. Il y a une découverte dans l’écrit, il y a une découverte dans l’esthétique et dans tous les arts : on a à faire avec des bribes, on a à faire avec des éléments toujours déplacés. Et actuellement, ce n’est pas tellement la quête d’identité qui est importante. C’est comment faire en sorte que des identités si brisées, si différentes, au-delà des représentations que chacun peut avoir de sa propre identité, comment elles peuvent s’agencer ensemble ? Parce que ces brisures d’identité sont des conséquences, des effets de profondes mésestimes dans l’Histoire. Et donc là, comment retrouver, même pour soi-même, l’estime de l’olivier, l’estime du figuier, l’estime des petites choses, et comment les prendre là. Les représentations dans lesquelles ont met les écrivains, dans des « espaces francophones », alors qu’il s’agit de temps dans lesquels ils sont, et comment ils s’inscrivent dans ces temps là, ça c’est la construction de leur œuvre. Alors bien sûr, on n’évite pas le lieu politique, le lieu de la politique, je veux dire même des éditeurs, puis de la politique scolaire. Il faut bien nommer un petit peu les choses pour pouvoir s’y diriger un peu. Et comme quand même les écrivains et les artistes, ce qui les intéresse, c’est quand même de faire en sorte que leur intériorité, et plus encore que leur subjectivité puisse apparaître comme telle, ce n’est pas résolvable à travers des mots simplement. C’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui va dans le travail, dans l’œuvre de création qui va au-delà du mot. Il met quelque chose en avant du mot, qu’il appelle peut-être, mais qui ne peut être arrêté, inhibé à partir du moment où il y a cet « espace de la francophonie » où on promène tous les écrivains. Vous voyez par exemple, à Saint-Malo ils sont quatre cents, quatre cents écrivains pendant quatre jours… C’est monstrueux le truc ! Qu’est-ce que c’est que ça ? On dit que ce sont des « grands voyageurs », que « vous êtes devenus des grands voyageurs ». Je crois que ce qui est dit – il y a beaucoup d’Africains qui le disent aussi – c’est que, au-delà de l’animosité, il s’agit de ne pas être enfermés dans ; ce sont des espaces d’effractions.

SH [ CD II, piste 6 ] : Un mot de conclusion pour chacun à ce sujet, au sujet de ce « ne pas être enfermé dans » : vous avez tous des rapports à des espaces différents – Réunion et Europe, Maghreb et Europe –, alors est-ce que maintenant vous diriez que vous habitez partout, ou est-ce que vous diriez habiter un espace fermé, dans un lieu précis ?

MA : Tout autour de moi… Loin de moi… A l’intérieur de moi…

SH : Je veux dire, pour ne plus employer le mot « francophone », de quel espace s’agit-il ? Edouard Glissant, pour définir ce partout, emploie le terme « créolisation »…

MA : Glissant emploie le mot « créolophonie ».

SH : Jean Lods, tu habites entre deux espaces ou partout ?

JL : Moi, j’habite à Paris, c’est-à-dire nulle part. Quand Monique Agénor dit qu’elle habite partout, il y a quand même un point où elle peut revenir. Moi, je n’ai pas ce point. J’ai le sentiment de flotter dans l’espace, de n’avoir aucun point d’attache, aucune origine vers laquelle revenir. C’est très dangereux de revenir… de se scotcher à son origine. Encore faut-il en avoir une pour y retourner, pour s’en éloigner ensuite… C’est un peu ce que tu fais [Monique Agénor]. Mais je voudrais bien avoir de temps en temps une origine vers laquelle me rapprocher un petit peu. Ça me manque.

SH : Et toi Nabile Farès ? Une origine à laquelle se raccrocher ?

NF : Ce sont des questions qui me dépassent...

SH : Donc elles sont mauvaises…

NF : Non pas du tout, je ne dirais pas ça, elles me dépassent vraiment ! Je sais que j’ai à faire à de l’origine et à de la désorigine. Je sais aussi que ce que vous dîtes [Jean Lods et Monique Agénor], c’est que vous appartenez à un monde. Vous appartenez déjà à un monde. Même si, et vous le dîtes bien, vous avez été dans ce lieu, vous en êtes partis et que ça a construit une sorte de vide dans lequel il y a à voyager. Quand on écrit, le point d’origine disparaît. Et puis on a affaire au langage. Et puis on a à faire à son œuvre, et son œuvre disparaît. Et comment laisser partir le texte, et se demander si un autre texte viendra, naîtra ? Il y a quelque chose quand même d’une naissance ponctuelle. Il vaut mieux choisir les lieux où l’on habite. Si on peut, il vaut mieux les choisir. Je sais que par exemple, en tous les cas, le monde dans lequel j’ai vécu a disparu. Il en reste des traces, comme vous, comme vous avez dit tout à l’heure, vous n’êtes pas du tout étrangers, au contraire. Alors, il y a ça peut-être, en prononçant ce mot d’« étranger », il y a quelque chose de l’étrangeté qui demeure et qu’on essaie, par l’écriture, de rendre familier à tout le monde. C’est peut-être comme ça qu’on aimerait bien être partout… et pas tout le temps dehors.

MA : L’écriture nous emmène partout.

SH [ CD II, piste 7 ] : Puisque nous avons entendu un texte de Jean Lods et un texte de Monique Agénor, je vous propose maintenant d’entendre une lecture de Nabile Farès qui nous emmènera partout, je ne sais pas, mais en tous les cas vers L’exil et le désarroi.

NF : J’ai choisi ce texte pour l’avoir retrouvé… Voilà : on peut être dans les bibliothèques ! On n’est pas mal logé dans les bibliothèques ! C’est un texte qui, malheureusement, n’a pas figuré aux Editions du Seuil, mais qui reprend… qui clot précisément ce travail sur trois textes. Le champ des Oliviers, c’est le chant avec les grives et tout ça, La Mémoire de l’Absent, c’est déjà quelque chose qui s’est éloigné et qui suit, pour moi, l’histoire dans laquelle j’essaie de figurer. Parce que je ne peux pas écrire autrement qu’en travaillant les traces de ce lieu là… Et donc, dans ce texte, il y a une reprise de la plupart des personnages pour savoir ce qu’ils sont devenus. Là, très précisément, il y a deux personnages : il y en a un qui s’appelle Mokrane et qui, dans l’un des tous premiers textes, est un étudiantau savoir profond qui, après toutes ces années de guerre, rentre au village. Après l’indépendance de l’Algérie, après des désastres communs, il retrouve un des personnages qui est resté, et qui est une femme :

‘[…] Je comprends – O Oui Je comprends – les distances installées, vivantes, entre la vie, et, la mort. Les distances installées, construites, entre les deux séjours : mes mains tremblent d’absence, ou, de dépossession (disparition) des marches qui conduisent – Eux – près d’Eux : Que je cherche Là Inlassablement depuis : plus encore : depuis ta venue : plus encore : depuis ton retour.
Depuis :
Mes Mains ? […]
(Nabile Farès, L’Exil et le désarroi, Paris, Maspero, 1976, p. 30 à 31)’

Conclusion par Jean-Claude Judith de Salins, président de l’ARCC [ CD II, piste 8 ].

Fin de l’entretien avec les auteurs