1.1.4.La théorie motrice (Liberman & Mattingly, 1985)

La théorie motrice de la perception de la parole (Liberman & Mattingly, 1985) relie la perception auditive à la perception d’un pattern de mouvements articulatoires anticipés par l’auditeur. Elle fait référence à un décodage articulatoire de la parole. Les mouvements articulatoires de la parole seraient segmentés et stockés dans une représentation mentale des sons 1 à 1. Un code spécial permettrait de lier le geste articulatoire à la structure phonétique. La perception nécessiterait donc de faire référence à la production de la parole. D’où l’hypothèse que la parole accélérée naturellement soit plus facile à percevoir et à reconnaître que la parole accélérée artificiellement, contrairement à ce que nous avons dit précédemment. Cependant, si la parole synthétisée contient suffisamment d’informations phonétiques, elle sera considérée, par l’auditeur, comme de la parole naturelle. De même, Fowler (1986, 1996) présente sa théorie de la perception directe de la parole qui repose sur les mêmes principes de base de la théorie motrice.

Au contraire, Ohala (1996) avance des preuves phonétiques et phonologiques contre la théorie motrice en disant que nous avons la capacité de discriminer des sons avant de pouvoir produire ces contrastes. Les représentations phonétiques doivent être établies avant que nous puissions produire les sons. La perception de la parole ne s’effectue pas directement à partir des représentations des gestes articulatoires. Les sons de parole sont donc stockés sous leur forme phonétique, une catégorisation est nécessaire, mais les gestes articulatoires ne sont pas stockés. Les mouvements articulatoires seraient stockés au niveau des représentations lexicales du fait qu’ils font partie intégrante du message linguistique. La parole synthétisée ne serait donc pas perçue comme de la parole naturelle car elle ne correspond pas aux représentations phonétiques.

Plus récemment, Liberman et Whalen (2000) confrontent ces deux théories majeures de la production et de la perception de la parole. Les auteurs sont en faveur de la théorie motrice pour expliquer les mécanismes de la perception de la parole. Les éléments phonétiques de la parole, pour eux, ne sont pas les phonèmes, mais les gestes articulatoires qui sont générés. Cependant, la théorie motrice soulève toujours plusieurs questions. La première est qu’elle suppose un module cérébral capable de convertir le signal en gestes, ce qui implique que l’on ne peut pas comprendre la parole si on ne peut pas la produire. Et pourtant, l’enfant muet de naissance qui comprend la parole peut être pris comme contre exemple. Par conséquent, l’hypothèse d’un module cérébral inné est proposée. L’imitation phonétique apparait récemment comme une origine possible de l’apparition et de l’évolution du système des sons de parole. De plus, ce phénomène de mimétisme est relié au niveau cérébral à la présence de neurones miroirs impliqués dans la production, la perception et l’acquisition de la parole (Studdert-Kennedy, 2002). La seconde objection repose sur le fait que le modèle inverse n’a pas été démontré c’est-à-dire comment la représentation des gestes articulatoires est transformée en sons. La troisième objection porte sur la variabilité importante du système articulatoire ce qui ne facilite pas les représentations un à un.

Pour conclure, la théorie motrice ne permet pas d’expliquer la représentation des sons de la parole. De plus, la variabilité du système articulatoire entre les individus va donc engendrer d’importants problèmes pour l’identification des sons de la parole. La variation de production entre les locuteurs ne va pas permettre de mettre en correspondance un geste articulatoire et un son de la parole. D’autres théories, comme la théorie des exemplaires, ont une vision différente de la représentation des sons de parole. La théorie des exemplaires, elle, émet l’idée que chaque exemplaire correspond à un morceau de la langue, stocké en mémoire avec tous les détails spécifiques aux circonstances particulières au moment où il a été produit ou rencontré (Nguyen, Wauquier-Gravelines, & Tuller, à paraître).