1.6.1.La production naturelle de la parole rapide

Pendant une conversation normale, le locuteur change considérablement son débit (Miller, Grosjean, & Lomanto, 1984). Lorsqu’un locuteur augmente son débit, la première chose qu’il fait est de réduire le nombre et la durée des pauses (Lass, 1970). Le locuteur peut accélérer son débit articulatoire dans une certaine limite. Les limites se situent au niveau physiologique dans les mouvements d’ouverture et de fermeture des mâchoires ainsi que dans les mouvements de la langue (devant plus rapide que derrière et aussi plus de contrôle, voir Miller, Heise, & Lichten, 1951) . Il y a donc une vitesse maximale de lecture à voix haute (Greisbach, 1992). Quant à la perception de la parole, son traitement est limitée par la résolution temporelle du système auditif et à un niveau supérieur, par la quantité d’informations traitées.

Ces changements de débit de parole vont altérer la durée des propriétés acoustiques qui caractérisent les traits phonétiques à cause du phénomène de coarticulation. Les influences consonantiques sur les voyelles sont principalement dues à ce phénomène (Pickett, 1999). Comme nous l’avons dit précédemment, l’établissement des correspondances entre le signal acoustique et les représentations phonétiques dépend fortement du contexte (Liberman & Mattingly, 1985 ; Stevens & Blumstein, 1981). Une des variations contextuelles perturbant la mise en place de ces correspondances est le débit de parole (coarticulation). La carte d’appariement entre les traits acoustiques et les catégories phonémiques va donc être modifiée. Selon le débit d’articulation, les indices acoustiques ne vont pas avoir le même poids relatif dans la distinction entre deux phonèmes et cela, même à un débit normal. Les changements de débit de la parole influencent la perception des voyelles courtes par rapport aux longues, la perception du VOT ainsi que la perception des transitions (Kessinger & Blumstein, 1998). La valeur de VOT change avec un changement de débit (Miller, Green, & Reeves, 1986 ; Summerfield, 1975, 1981). à débit lent, la durée de la syllabe augmente ainsi que la valeur de VOT, ce qui correspond, en anglais, à un dévoisement. La frontière phonétique catégorielle, le long d’une série de VOT, bascule vers des valeurs de VOT plus longues lorsque la syllabe de la série devient plus longue (Green & Miller, 1985 ; Summerfield, 1981). Au contraire, lorsque le débit s’accélère, Andruski, Blumstein et Burton (1994) n’observent pas de différence significative sur les temps de catégorisation de phonèmes pour une durée de VOT réduite de 1/3, Par contre, si la réduction du VOT est égale à 2/3, les auteurs montrent une différence significative dans les temps de catégorisation. Les processus de catégorisation sont plus lents car le nombre d’exemplaires disponibles a été réduit.

La plupart des changements de durée d’une syllabe induits par le débit est due à un changement de durée de la voyelle « noyau » (Gay, 1978). Pourtant, tout dépend de l’utilisation de cette durée pour différencier les voyelles dans les différentes langues. En anglais, Strange, Jenkins et Jonhson (1983) mettent en évidence que la variation de durée de la voyelle affecte son identification. Même si le débit de parole n’affecte pas les fréquences des formants, relativement stables, des voyelles (Gay, 1978), il va affecter la durée des voyelles. Des études ont montré que la qualité des voyelles perçues change si l’on fait varier la durée sans modifier l’information spectrale (Verbrugge & Isenberg, 1978). En français, la durée est rarement utilisée pour différencier les voyelles (Delattre, 1959), contrairement, au finnois qui utilise la durée pour différencier des voyelles.L’organisation temporelle du signal de parole semble donc important et l’extraction des informations temporelles et leur analyse rendra compte des modifications du signal et permettra ou non sa reconnaissance. La compression temporelle de la parole va également impliquer un changement de cartographie précise entre le signal acoustique et les catégories phonétiques. Par conséquent, l’auditeur doit avoir le moyen de prendre en compte ces changements des propriétés acoustiques dus au changement de débit pour avoir une perception correcte de la parole. L’auditeur en est capable, notamment, si on lui laisse le temps de s’adapter au débit de parole. Mais le locuteur peut également adapter son débit selon la compréhension de l’auditeur : c’est la théorie de l’hypo-hyperarticulation (Lindblom, 1990).