2.4.3.3.L’effet du lieu d’articulation

Les erreurs faites sur l’identification des alvéolaires sont principalement des erreurs sur le lieu d’articulation aussi bien en position d’attaque qu’en position intervocalique. La compression temporelle des transitions conduit à modifier la pente des transitions qui mène à une ambiguïté au niveau des zones transitionnelles. Comme nous le verrons dans l’analyse acoustique (voir section ), la pente des transitions des occlusives alvéolaires en position intervocalique est plus raide que celle des bilabiales alors que la tendance inverse est observée en attaque. Cette caractéristique de la pente de la transition du F2 semble refléter les résultats comportementaux : plus la pente est raide, meilleures sont les résultats. En effet, en position d’attaque, la pente des bilabiales a tendance à être plus raide que celle des alvéolaires (même si ce n’est pas significatif) ce qui corrèle avec le nombre très faible d’erreurs en attaque sur les bilabiales. Nous avons déjà abordé ce point dans le Chapitre 1 (section 1.3.2., voir la Figure 7) : plus la pente est raide et plus elle est saillante acoustiquement, donc informative, ce qui lui permet de contrôler la discrimination de la consonne. Un changement fréquentiel rapide de grande amplitude de la transition permet une meilleure identification c’est-à-dire que la différence de fréquentielle entre le début et la fin de la transition est plus grande facilitant ainsi la discrimination. Selon Jun (1995), le lieu d’articulation bilabial est celui que l’on retrouve de manière plus fiable dans le bruit à travers la position dans la syllabe (attaque et coda). Dans une tâche à choix forcé entre /b/, /d/ et /g/, les résultats montrent un avantage général de perception en attaque. /d/ ne montre pas d’avantage de la position en attaque par rapport à /b/ et /g/. Il faut noter qu’en coda, la confusion /d/ -> /b/ est importante dans des conditions de bruit. En attaque, l’auditeur se fie aux indices du relâchement du burst pour les alvéolaires et donc la dégradation de ces indices touche plus le /d/ que les autres stimuli. Le burst du /d/ à une intensité plus forte et moins de variabilité entre les voyelles que /b/ ou /g/ (Ohala, 1990 ; cité par Wright, 2001). Nos résultats peuvent être mis en lien avec cette étude car les alvéolaires sont les plus affectées par la compression temporelle des transitions. Cet effet est, cependant, plus marqué en position d’attaque. En position intervocalique, d’autres mécanismes doivent intervenir pour expliquer la baisse des confusions sur le lieu d’articulation des alvéolaires.

Par ailleurs, l’analyse d’identification des consonnes selon la voyelle qui suit a mis en évidence un effet de la voyelle /a/ derrière l’occlusive alvéolaire non voisée en position d’attaque. Les omissions étaient plus fréquentes avec /a/ qu’avec /i/. Ce résultat s’explique par le fait que le bruit d’explosion du /t/ va dépendre de la voyelle qui suit : avec /i/, il y a du bruit alors qu’il n’y en a pas avec /a/. Par conséquent, /ta/ a tendance à ne pas être perçu et /ti/ à être confondu.

Dans cette Expérience 2, nous n’avons donc pas observé d’effet de la compression temporelle des transitions formantiques sur l’identification des occlusives. La suppression de ce trait, cependant, induit une baisse d’intelligibilité des occlusives, plus particulièrement, des alvéolaires. Les bilabiales sont donc plus robustes à cette suppression d’indice de lieu d’articulation. Nous reviendrons dans la discussion générale sur ces différences entre les occlusives bilabiales et alvéolaires.