2.5.3.3.La relation entre les deux traits

Comme nous venons de l’expliquer, les occlusives non voisées sont les plus sensibles à la compression temporelle et à la suppression des deux indices acoustiques. L’alvéolaire non voisée présente le plus grand nombre d’erreurs par rapport aux autres consonnes, c’est donc la consonne la moins bien identifiée. Elle est majoritairement omise c’est-à-dire non perçue par les participants. Ce résultat peut être mis en lien avec l’étude de Browman et Goldstein (1990, 1992) qui à débit rapide montre une élision complète du [t] final dans le mot « perfect ». Aucune impression auditive n’est perçue mais le geste articulatoire persiste cependant. Nous trouvons également une majorité d’élisions pour [t] dans des pseudo-mots CVCV. Les informations contenues dans le VOT (voisement, burst) et les transitions formantiques du /t/ semblent critiques pour une discrimination correcte. En effet, les erreurs du type /t/ est confondu avec /d/ (confusion sur le voisement) ou /t/ est confondu avec /p/ (confusion sur le lieu d’articulation) sont les plus nombreuses quelle que soit la position. /t/ est également plus souvent confondu que /p/, ce qui s’explique par l’intensité du burst qui est plus faible pour /p/ et donc moins résistant. Le /p/ a donc tendance à ne pas être perçu.

L’occlusive qui possède les deux traits [- voisée ; + alvéolaire] rend compte de la vulnérabilité de l’association de ces deux indices en comparaison à l’occlusive [+ voisée ; + alvéolaire] qui ne présente pas d’effet de position et qui est sensible seulement à la compression temporelle à 25%. La différence est plus grande en attaque où l’occlusive /t/ est sensible à la compression à 50%, ce qui s’exprime sous la forme d’erreurs de voisement et de lieu d’articulation. Alors que les mêmes types d’erreurs sont observés pour l’occlusive /d/ mais seulement pour la compression à 25%. De même, l’association des traits [- voisée ; + bilabiale] est plus sensible en attaque que les deux traits [+ voisée ; + bilabiale]. Ces résultats mettent en évidence que l’identification du lieu d’articulation est possible chez les occlusives voisées grâce à la présence du bruit de l’explosion resté intact. La compression à la fois du VOT (i.e. burst) et des transitions pour les occlusives non voisées affecte considérablement leur identification, dans la plupart des cas, elles sont omises. La réduction temporelle des deux traits pour les occlusives non voisées induirait une quantité d’informations perdue trop importante pour y remédier. Ainsi, les résultats mettent en évidence le rôle primordial du burst dans l’identification du lieu d’articulation des occlusives.

Par ailleurs, au vue de la nature des erreurs faites dans cette expérience en comparaison avec les deux premières expériences, nous pouvons émettre l’hypothèse d’un traitement indépendant (en parallèle) des deux traits pour les occlusives voisées (pas d’effets additionnels) alors que des processus interactifs interviennent pour les occlusives non voisées (addition des effets des Expériences 1 et 2). Pour les occlusives voisées, nous retrouvons les mêmes erreurs que dans les Expériences 1 et 2, comme si les effets de la compression temporelle de chacun des indices s’ajoutaient indépendamment les uns des autres. Alors que pour les occlusives non voisées, les effets de la compression temporelle de chacun des indices conduisent à une altération trop importante de l’intelligibilité du signal acoustique, rendant impossible toute discrimination. Une relation interactive entre les deux traits est plus probable.

Dans cette troisième Expérience, nous avons mis en évidence une relation entre les deux traits qui est différente selon le caractère voisé ou non de l’occlusive. Le traitement des deux traits est indépendant pour les occlusives voisées alors qu’ils interagissent pour les non voisées. La barre de voisement n’interagit pas avec les indices de lieu d’articulation alors que le VOT joue un rôle dans la discrimination du lieu d’articulation par l’intermédiaire du burst. Cette interprétation repose, principalement, sur la nature acoustique différente des traits manipulés.