4.1.Introduction

En 1896, Pringle Morgan (1896) publia le premier cas de dyslexie en Angleterre : un jeune garçon de 14 ans qui, malgré une intelligence normale, était incapable d’apprendre à lire. En France, le neurologue Déjerine (1892) utilisait le terme de « cécité verbale » pour expliquer les difficultés de lecture chez l’adulte après une lésion cérébrale. Actuellement, nous parlons de dyslexie acquise dans le cas d’une lésion cérébrale entraînant des troubles de lecture et de dyslexie développementale lorsque les difficultés de lecture surviennent lors de l’apprentissage. Ces découvertes font suite aux études sur les troubles du langage, dont les plus célèbres sont celles de Broca en France (1865) et de Wernicke en Allemagne (1874). Ces travaux précurseurs ont servi à démontrer qu’il existait des aires cérébrales spécifiques au traitement de la parole dans l’hémisphère gauche du cerveau humain. Puis, au milieu du XXe siècle, les études se sont concentrées aux États-Unis puis dans les pays scandinaves (notamment le Danemark) où les recherches étaient très actives. L’émergence de la psychologie cognitive et des neurosciences, dans les années 1970, a redonné un second souffle aux recherches sur la dyslexie. Plus précisément, les travaux pionniers d’Isabelle Liberman (laboratoire Haskins aux États-Unis) ont permis d’élargir les connaissances sur le rapport entre la lecture compétente et la dyslexie. Non seulement, la lecture est une activité visuelle (les dyslexiques confondent les lettres proches visuellement) comme le soutient Orton (1937), mais elle repose également sur une activité langagière impliquant une relation entre l’écrit et le langage oral. De plus, les travaux américains en neurosciences de Geschwind et Galaburda ont mis en évidence des différences anatomiques cérébrales spécifiques chez les dyslexiques. Pendant ce temps, en France, les recherches sur la dyslexie ont été peu nombreuses à cause des débats entre les défenseurs de la dyslexie définie comme un trouble de la personnalité et les opposants à l’existence même de la dyslexie. L’évolution des idées, en ce qui concerne les troubles du langage, permet aujourd’hui de reconnaître la dyslexie comme étant due à un dysfonctionnement cognitif susceptible de générer un handicap. En retour, nous assistons à l’émergence de nombreuses recherches appliquées visant à enrichir le diagnostic et proposant des techniques de rééducation efficaces.

La reconnaissance d’un lien étroit entre les aspects visuels et la phonologie en lecture a permis le développement de recherches mettant en évidence un codage phonologique automatique et obligatoire dans la lecture silencieuse. Van Orden (1987) met en évidence une activation des représentations phonologiques automatiques et non-stratégiques par les individus. Une tâche de catégorisation sémantique est proposée aux sujets : ils doivent décider si un mot cible (ROWS homophone de ROSE ou ROBS proche orthographiquement de ROSE) appartient à la catégorie A FLOWER (une fleur). Les participants font plus d’erreurs positives avec ROWS (ROWS est une fleur) qu’avec ROBS. Par conséquent, l’effet d’homophonie observé appuie l’hypothèse d’une médiation phonologique. La présentation du mot cible va activer le code orthographique qui va lui-même activer le code phonologique, permettant l’accès au lexique, mais l’identification est erronée. Les auteurs montrent également que les informations phonologiques et orthographiques influencent conjointement et simultanément la lecture silencieuse des mots et que la médiation phonologique est précoce et rapide. Dans une tâche de détection de lettres pour laquelle le codage orthographique serait suffisant pour identifier le mot, sans l’utilisation du codage phonologique, Ziegler, Van Orden et Jacobs (1997) mettent en évidence une activation des codes phonologiques aux dépends du lecteur de manière automatique et obligatoire. De même, Berent et Perfetti (1995) postulent que la facilitation observée en amorçage masqué est due à une activation précoce, automatique et prélexicale de l’information phonologique. La phonologie joue donc un rôle primordial dans la lecture. L’établissement des correspondances entre graphèmes et phonèmes est une étape critique lors de l’apprentissage de la lecture. Les connaissances des structures phonologiques des enfants permettent de prédire précocement leurs futures habiletés en lecture (Bertelson, Morais, Alegria, & Content, 1985). Les difficultés d’apprentissage de la lecture chez les dyslexiques peuvent être liées à un trouble phonologique, ils manipulent difficilement les phonèmes et ont des difficultés à faire ou à détecter des rimes. Nous reviendrons en détail sur ce déficit phonologique chez les dyslexiques dits phonologiques en opposition aux dyslexiques non phonologiques.

Dans cette partie théorique, nous définirons la dyslexie et nous décrirons les principaux troubles qui lui sont liés. Nous ferons une revue de différentes études portant sur l’étiologie de la dyslexie et terminerons par une discussion des différentes théories actuelles de la dyslexie. La partie expérimentale présentera notre étude visant à tester la pertinence et la puissance de l’hypothèse d’un déficit auditif du traitement temporel dans la dyslexie.