4.2.5.Les grandes formes de dyslexie développementale

Les dyslexiques ont des difficultés spécifiques, durables et significatives, à déchiffrer et à reconnaître des mots, à lire couramment et à comprendre ce qui est lu. Cette inaptitude à la lecture relève de différents facteurs comme une conscience phonologique insuffisante, des difficultés de conversion des graphèmes en phonèmes, des difficultés de fusion des phonèmes en syllabes, des difficultés d’association des syllabes en mots, des difficultés d’accès au sens ou bien des difficultés de fixation visuelle. Certains enfants ont, en effet, des troubles visuo-spatiaux c’est-à-dire qu’ils vont avoir tendance à confondre la gauche et la droite, dessus et dessous, avant et après, ainsi qu’avec d’autres termes et concepts d’orientation. Des difficultés dans des tâches mnésiques et dans l’accès au lexique sont également mises en évidence chez ces enfants.

Ces différents facteurs ont conduit les chercheurs à tenter de catégoriser les cas de dyslexie selon ces quelques grands types (Castles & Coltheart, 1993 ; Manis, Seidenberg, Doi, McBride-Chang, & Petersen, 1996). Cette typologie de dyslexies développementales est avant tout comportementale et vise à préciser la procédure qui est majoritairement déficitaire, en se basant sur le modèle de la double voie, pour rendre compte des profils d’erreurs du patient en lecture. Il s’agit de préciser si la voie par adressage ou la voie par assemblage est particulièrement déficitaire, sans qu’il soit toujours possible de connaître directement l’origine des difficultés rencontrées. Pour décrire les dysfonctionnements en lecture des dyslexiques, les différents courants théoriques s’appuie sur le modèle de la double voie (Coltheart, 1978 ; Coltheart, Rastle, Perry, Langdon, & Ziegler, 2001) . Comme nous l’avons expliqué dans le Chapitre 3, ce modèle est composé de deux voies : une voie lexicale (par adressage) et une voie analytique (par assemblage). La voie lexicale serait perturbée chez les dyslexiques de surface alors que ce serait la voie analytique chez les dyslexiques phonologiques (Figure). Chez les dyslexiques mixtes les deux voies sont perturbées (Boder, 1973). Notons que Manis et al. (1996) préfèrent décrire ces deux sous-types de dyslexie selon le modèle connexionniste de Seidenberg et McClelland (1989) (cf. Chapitre 3). à l'inverse du modèle double voie, ce modèle suppose qu'un système unique établi une carte d’activation entre l’orthographe et la phonologie grâce à des connexions variables entre les représentations distribuées des informations lexicales, ce qui permet de lire à la fois les mots et les pseudo-mots, en se basant sur la connaissance des mots. Mais l’utilité de ce classement est encore vivement critiquée pour comprendre les troubles sous-jacents de la dyslexie. Au niveau comportemental, d’une part, nous n’avons pas d’outils assez puissants permettant de distinguer précisément les différents types de dyslexie et d’autre part, la plupart des patients ont une dyslexie mixte à prédominante phonologique (Sprenger-Charolles, Colé, Lacert, & Serniclaes, 2000).

La dyslexie phonologique (dysphonétique) est la plus fréquente et serait déterminée par des troubles phonologiques qui empêcheraient l’acquisition des correspondances graphèmes-phonèmes indispensable à la lecture. La voie phonologique est déficitaire alors que la voie lexicale est préservée. De ce fait, l'enfant peut lire et écrire les mots les plus familiers (réguliers et irréguliers) mais ne lit et n’écrit pas, ou mal, les mots inconnus ou rare (pseudo-mots et nouveaux mots) pour lesquels il se contente alors d'une approximation basée sur la ressemblance visuelle avec des mots connus. En premier lieu, les enfants dyslexiques ont des difficultés à apprendre le nom des lettres de l’alphabet ou les sons correspondants, et à écrire ces lettres dans l’ordre. Ce type de dyslexie se distingue par une méconnaissance des règles de conversion grapho-phonèmiques, qui se traduit par des erreurs d'ordonnancement avec des inversions, des ajouts, des omissions, des substitutions de graphèmes visuellement proches (b/d - u/n), des confusions entre consonnes sourdes et sonores (p/b - t/d) et des substitutions de mots graphiquement ou sémantiquement proches. Pour lire, de tels enfants ne peuvent recourir qu’à leur capacité à identifier le mot globalement sans en analyser les éléments constitutifs. Cela requiert une importante capacité de mémorisation de l’orthographe spécifique de mots nouveaux, et les faibles capacités de déchiffrage grapho-phonémique empêchent la découverte autonome de l’identité de nouveaux mots écrits. Leur lecture est donc plus lente et leur compréhension de texte plus difficile.

La dyslexie de surface (dyséidétique) se traduit par un accès perturbé au sens : la voie lexicale est déficitaire alors que la voie phonologique est préservée. Les signes de ce type de dyslexie sont : un bon déchiffrage de mots réguliers et de pseudo-mots (utilisation des correspondances graphèmes-phonèmes), un faible lexique de mots reconnus de manière automatique et une incapacité à lire les mots irréguliers (régularisation). Les difficultés en épellation portent principalement sur des mots qui se mémorisent de façon globale (mots fréquents mais irréguliers) comme est, sont ou dans, et ce, en dépit d’un entraînement intensif. Les erreurs d’épellation consistent, majoritairement, en des inversions et lorsque ce sont des mots copiés directement d’un livre ou d’un tableau. Miles (1993) observe que les difficultés d’épellation continuent à l’âge adulte. La lecture est très coûteuse en effort cognitif puisqu'elle repose entièrement sur un déchiffrage séquentiel grapho-phonémique systématique. L'attention est entièrement consacrée au décodage. Le rythme de lecture est donc très lent et les problèmes de compréhension sont majeurs (Coltheart, Masterson, Byng, Prior, & Riddoch, 1983).

Ces deux types de dyslexie représentent des extrêmes. Dans les faits, les manifestations des troubles lexiques sont souvent plus confuses et moins tranchées. Les dyslexiques mixtes présentent un dysfonctionnement des deux voies. Les différents types d’erreurs observés dans la dyslexie phonologique et la dyslexie de surface se retrouvent dans la dyslexie mixte, en lecture et en écriture de mots et de pseudo-mots. Deux explications à la dyslexie mixte sont actuellement en pour parler. La première consiste à penser que les dyslexiques mixtes présentent un trouble essentiellement phonologique qui, lors de l’apprentissage de la lecture, empêche l’utilisation correcte de la voie par assemblage. Le problème majeur qui en découle est que le lexique orthographique va être moins riche d’où un type de dyslexie qui se définit comme un trouble à la fois de l’assemblage et de l’adressage. La seconde explication postule que l’enfant présente de fortes difficultés visuo-attentionnelles, mais sans trouble phonologique, ce qui peut rendre difficile l’adressage lexical car il nécessite un encodage précis de la position des lettres mais également l’application de règles complexes de conversions graphèmes-phonèmes lorsque la prise en compte du contexte est nécessaire (p. ex. /k/ qui peut être prononcé [s] ou [k] selon le contexte). Les erreurs témoigneront de difficultés à la fois en adressage et en assemblage. En conclusion, le plus important et le plus pertinent est donc de savoir si l’enfant présente un trouble phonologique ou visuo-attentionnel à la base.

De plus, Joanisse, Manis, Keating et Seidenberg (2000) montrent une très grande variabilité des déficits cognitifs entre les dyslexiques relevant d’un même type (phonologique, de surface ou mixte). Il n'existe pas de preuve formelle attestant qu'il existe seulement deux troubles dont l'origine serait fondamentalement distincte. à l'heure actuelle, il est plus prudent de considérer ces variations comme des manifestations différentes des troubles sans invoquer ni de rupture qualitative dans les manifestations des troubles ni d'origine distincte pour ces "types". Pour résumer, comme nous l’avons dit précédemment, une meilleure connaissance des déficits cognitifs responsables des difficultés des dyslexiques semble donc un point essentiel.

Figure 48 : Les atteintes du modèle de la double voie chez les dyslexiques (Coltheart, 1978).