4.2.6.La dyslexie développementale chez l’adulte

La dyslexie comme nous l’avons définie est un trouble durable de la lecture qui persiste à l’adolescence et à l’âge adulte (Pennington, van Orden, Smith, Green, & Haith, 1990 ; Scarborough, 1984). Rack (1997) renforce cette notion de « dyslexie à long terme », en évaluant les capacités cognitives d’adultes dyslexiques, ce qui lui a permis de mettre en évidence diverses difficultés qui se répartissent en différents sous-groupes. Il a observé des déficits phonologiques, des problèmes de mémoire, des troubles de la coordination visuo-motrice mais également des troubles du langage chez certains dyslexiques. Cette variabilité dans les difficultés reflète de véritables troubles qui nécessitent l’établissement d’un profil neuropsychologique comme chez les enfants (Elbro, Nielsen, & Petersen, 1994 ; Felton, Naylor, & Wood, 1990). Cependant, chez l’adulte, le diagnostic est plus compliqué du fait notamment de l’absence de tests de lecture et d’écriture adaptés et standardisés (le Nelson-Denny Reading Test est une exception en anglais, (Brown, Fishco, & Hanna, 1993) mais également des capacités de compensation acquises tout au long de sa vie, par exemple lors d’une prise en charge orthophonique. De plus, le dyslexique adulte a une plus grande expérience de la lecture ou tout du moins de l’écrit, ce qui peut masquer des difficultés sous-jacentes à la pathologie. Le moyen diagnostic le plus juste et le plus sensible est probablement « l’histoire » du patient adulte, son anamnèse, du fait du manque d’efficacité des outils diagnostic existants. Un diagnostic peut donc être établi à l’âge adulte qui rendra compte des troubles présents au moment de l’enfance.

Longtemps, la dyslexie chez l’adulte a été étudiée suite à des lésions cérébrales qui touchaient les zones cérébrales impliquées dans la lecture, on parle alors de dyslexie acquise. Peu de travaux ont concerné les cas d’adultes qui ont été des enfants dyslexiques et dont certains symptômes persistent. La plupart du temps, si la lecture a été pratiquée avec assiduité pendant l’enfance, la lecture de l’adulte dyslexique se fait avec une plus grande exactitude mais elle ne devient pas automatique. La lecture reste lente et manque de fluidité ; seul le taux d’erreur se réduit. La lecture demande un effort supplémentaire pour les dyslexiques, l’énergie dépensée est donc plus importante pour aboutir au même objectif qu’un lecteur expert, ce qui peut s’avérer un exercice épuisant et démotivant. Cet effort supplémentaire pour la lecture a même été observé pour les adultes les plus brillants ayant été diagnostiqués dyslexiques durant leur enfance (Lefly & Pennington, 1991). Pour un diagnostic chez l’adulte, le temps de lecture est donc l’aspect le plus informatif, car il rend compte du caractère automatique ou non de la lecture. Ainsi, en anglais, le Nelson-Denny Reading test est utilisé chez les jeunes adultes pour rendre compte de leur difficultés de lecture en mesurant les temps de lecture. Shaywitz et al. (1999) présentent une étude longitudinale de l’enfance à l’adolescence chez des dyslexiques du Connecticut. Cette étude a montré que les troubles liés à la dyslexie ne disparaissent pas entièrement à l’adolescence, particulièrement le déficit de conscience phonologique (voir aussi Bruck, 1990 ; Bruck, 1992 ; Felton, Naylor, & Wood, 1990). Les adultes dyslexiques, s’ils ont été suivis depuis l’enfance, utilisent des stratégies compensatoires pour surmonter leur retard de lecture ou leur difficulté en orthographe. Un groupe d’adultes dyslexiques compensés a été comparé à un groupe d’adultes dyslexiques avec de faibles performances en lecture et un groupe contrôle ne présentant pas de déficit de lecture (Shaywitz et al., 2003). Dans cette étude, le groupe de dyslexiques compensés présente un patron d’activations neuronales en partie différent des deux autres groupes ce qui suggère l’activation d’un réseau neuronal spécifique aux mécanismes de compensation. Les auteurs émettent l’hypothèse selon laquelle les dyslexiques dont le déficit est compensé présenteraient des capacités cognitives meilleures leur permettant de remédier à leurs difficultés d’apprentissage. Ces capacités cognitives (p. ex. mémoire visuelle, analyse contextuelle, capacité verbale) présentes dès l’enfance leur permettraient d’engager des stratégies compensatoires à leur déficit phonologique.

Les conséquences psychosocialesde la dyslexiepeuvent être graves chez certaines personnes. Les travaux de Bruck (1998) montrent que ces personnes atteignent en moyenne un niveau d’étude plus bas, qu’elles sont plus touchées par le chômage et qu’elles ont un niveau de stress plus important, tout cela en dépit de leur niveau intellectuel normal. De plus, les dyslexiques peuvent souffrir d’une baisse d’amour propre et être démoralisés ce qui complexifie leurs relations sociales. Par conséquent, une prise en charge orthophonique voire psychologique semble appropriée le plus tôt possible.