4.2.7.1.La conscience phonémique

De nombreuses études ont montré que le principal processus déficitaire, chez les enfants dyslexiques, était le développement des connaissances phonologiques nécessaires pour identifier et utiliser correctement les phonèmes constituants les mots écrits (Bradley & Bryant, 1985 ; Shaywitz, 1998 ; Wagner & Torgesen, 1987). Les phonèmes sont les plus petits segments de la parole qui, si on les substitue l’un à l’autre, entraînent un changement de sens du mot (Liberman, Cooper, Shankweiler, & Studdert-Kennedy, 1967). L’apprentissage de la lecture nécessite au préalable l’acquisition de certains concepts comme par exemple, la conscience phonémique. Les enfants dyslexiques dont la conscience phonémique est déficiente présentent des difficultés à distinguer et à manipuler les différents sons/phonèmes qui composent les syllabes ou les mots parlés (Bradley & Bryant, 1983 ; Liberman, 1973). Ces capacités de manipulation mentale d’unités sonores de la parole sont décrites sous le terme de « capacités métaphonologiques » (J. Ecalle & A. Magnan, 2002 ; Gombert, 1990). Nous avons déjà abordé la distinction entre les habiletés épiphonologiques et métaphonologiques (voir section ). La plupart des tâches proposées aux enfants dyslexiques évalue leur traitement métaphonologique c’est-à-dire leur conscience des unités discrètes des mots. Par exemple, les enfants dyslexiques seraient incapables d’effectuer une tâche de suppression de phonème initial ou une tâche d’acronyme, c’est-à-dire de fusion de phonèmes (voir les épreuves du test ODéDYS dans la section ). L’une des conséquences de tels troubles de conscience phonémique est de rendre difficile l’établissement de relations entre les lettres d’un mot (graphèmes) et les sons (phonèmes) qu’elles représentent. Certains auteurs parlent d’un rôle causal de la conscience phonologique dans l’acquisition de la lecture (Berent & Perfetti, 1995 ; Frost, 1998). En effet, pour lire un mot, nous devons segmenter le mot en lettres ou groupes de lettres et avoir conscience que leur raison d’être et leur emplacement s’explique par leur capacité à représenter des sons. Les dyslexiques présentent des difficultés de décodage et de segmentation des mots ce qui mène à des difficultés d’identification et de compréhension. Malgré des capacités intellectuelles, syntaxiques et de raisonnement normales, ainsi qu’un vocabulaire similaire à celui des normolecteurs, le décodage et l’identification sont si difficiles qu’ils compromettent à terme les traitements sémantiques en lecture. La plupart des modèles qui décrivent l'apprentissage de la lecture supposent que l'utilisation de représentations phonologiques joue un rôle déterminant au cours de l'apprentissage.

Les dyslexiques présentent également des spécificités neuro-anatomiques et leur déficit phonologique est observable sur les données d’imagerie cérébrale lors de tâches de lecture (Démonet, Taylor, & Chaix, 2004 ; Habib, 2000). Les aires cérébrales dédiées au traitement des phonèmes pourraient ainsi être affectées et induiraient des troubles lors d’étapes précoces du processus de la lecture, et par conséquent dans les étapes suivantes. Des études en imagerie cérébrale feraient état d’un dysfonctionnement dans l’hémisphère gauche, en particulier au niveau de la région périsylvienne gauche (Démonet, Thierry, & Cardebat, 2005) pour une revue).Plus récemment, Dufor, Serniclaes, Sprenger-Charolles et Démonet (2007) ont montré un désengagement (hypoactivation) de plusieurs régions dans l’hémisphère gauche de dyslexiques adultes : le gyrus supramarginal et la jonction entre le lobe temporal et le lobe occipital. L’activation de ces régions est fortement corrélée aux processus de perception de la parole (cf. Chapitre 1 section 1.7.2). En contrepartie, les dyslexiques présentent une activation plus forte que les contrôles dans le cortex frontal inférieur droit qui suggère un effort cognitif important. Ces changements de dominance hémisphérique et de connexions entre les régions cérébrales reflèteraient la mise en place de mécanismes de compensation par les dyslexiques adultes tout au long de leur vie (Shaywitz et al., 2003 ; Simos et al., 2002). Plus précisément, Dehaene et al. (2005) émettent l’hypothèse selon laquelle le gyrus supramarginal gauche est le siège de la perception catégorielle en mode parole. Les dyslexiques présentent des difficultés de perception catégorielle qui peuvent donc être corrélées au fonctionnement cérébral différent dans l’hémisphère gauche.