4.2.7.2.La perception des catégorielle

Dans l’étude de Reed (1989), les enfants ayant des troubles de lecture présentent des difficultés d’identification des consonnes occlusives, en perception de parole, lorsqu’elles sont séparées par un intervalle de temps très court. Ces enfants ne présentent pas de difficultés d’identification pour les voyelles. Les dyslexiques ont un déficit de discrimination des phonèmes, en particulier des consonnes. Ce résultat indiquerait un déficit de traitement d’indices acoustiques brefs qui sont caractéristiques des consonnes occlusives (burst, transitions, VOT). D’autres études montrent que les dyslexiques présentent également un déficit de perception catégorielle des phonèmes.Nous avons déjà défini la notion de perception catégorielle dans le Chapitre 1. La perception catégorielle se définit comme la discrimination des seules différences entre phonèmes et non des variantes acoustiques d’un même phonème (Liberman, Harris, Hoffman, & Griffith, 1957). Pour étudier cette perception catégorielle, l’utilisation de continuum portant sur un trait phonétique est fréquente. Manis et al. (1997), en anglais, utilisent un continuum sur la durée du VOT entre /b/-/p/ (/bɑth/ : VOT = 0 ms ; /pɑth/ : VOT = + 73 ms) pour étudier la perception catégorielle chez des dyslexiques. La frontière catégorielle est similaire pour les dyslexiques et les normo-lecteurs à environ + 21-26 ms, mais les dyslexiques présentent une pente plus faible ce qui rend compte d’une plus faible distinction catégorielle : une zone d’ambiguïté apparaît. Selon Miller, Grosjean et Lomanto (1984), en anglais, la frontière catégorielle entre /b/ et /p/ correspond à 25-35 ms de délai de voisement. Les dyslexiques ont du mal à définir les frontières catégorielles, ils sont moins précis et ils sont aussi moins constants en intra-individuel. Les travaux de Serniclaes et ses collègues (Bogliotti, Serniclaes, Messaoud-Galusi, & Sprenger-Charolles, in press ; Serniclaes, 1987  ; Serniclaes, Bogliotti, & Carré, 2003 ; Serniclaes, Sprenger-Charolles, Carré, & Demonet, 2001 ; Serniclaes, Van Heghe, Mousty, Carré, & Sprenger-Charolles, 2004), en français, ont permis de mettre en évidence plusieurs points importants sur le déficit de perception catégorielle des dyslexiques. Le premier point est que les enfants dyslexiques présentent une frontière catégorielle plus faible que leurs contrôles du même âge pour des signaux perçus comme de la parole (Serniclaes, Sprenger-Charolles, Carré, & Demonet, 2001). Le second point important est que les enfants dyslexiques sont meilleurs en discrimination intra-catégorielle (à l’intérieur d’une même catégorie) qu’en discrimination inter-catégorielle (de part et d’autre de la frontière catégorielle), et ceci pour des stimuli sinusoïdaux non modulés présentés comme de la parole. Ce dernier constat a mené à émettre l’hypothèse d’un mode de perception allophonique chez les dyslexiques qui expliquerait cette catégorisation d’exemplaires allophoniques (Serniclaes, Van Heghe, Mousty, Carré, & Sprenger-Charolles, 2004). Un premier pic de discrimination, dans un continuum VOT, est observé à +10 ms et un second pic décalé à gauche vers -30 ms. Le premier pic est plus faible pour les dyslexiques que pour les normo-lecteurs alors que l’inverse est observé pour le second pic, il est plus élevé pour les dyslexiques. Ce second pic correspondrait donc à un mode de perception allophonique chez les dyslexiques. Les catégories ne sont pas encore bien définies chez les jeunes dyslexiques ce qui les perturbent dans la discrimination phonémique d’où les difficultés dans des tâches de conscience phonémique et, par conséquent, en lecture. Selon les auteurs, les dyslexiques auraient un déficit de perception allophonique qui serait caractérisé par un trouble de la représentation unitaire des traits phonétiques qui composent les phonèmes. Les auteurs vont même jusqu’à émettre l’hypothèse selon laquelle le déficit de perception allophonique serait la cause du déficit phonologique des dyslexiques et, par conséquent, de leur difficultés en lecture (Bogliotti, Serniclaes, Messaoud-Galusi, & Sprenger-Charolles, in press ; Serniclaes & Sprenger-Charolles, 2003).

Godfrey, Syrdal-Lasky, Millay et Knox (1981) montrent également que les dyslexiques ont des difficultés à donner le nom de la catégorie des stimuli /b, d, g/ dans une tâche d’identification. Le déficit perceptuel de traitement de l’information présentée rapidement aurait pour conséquence un trouble de la perception catégorielle. Par ailleurs, les enfants dyslexiques sont plus sensibles à la complexité phonologique qui existe dans les pseudo-mots par rapport aux mots réels. Les dyslexiques ont un déficit phonémique qui les perturbent dans le traitement des mots écrits et entendus (Snowling, 1981). Ils présentent également plus de difficultés à identifier les mots de basse fréquence lexicale ainsi qu’à reconnaître les pseudo-mots (Snowling, Goulandris, Bowlby, & Howell, 1986). Les spécificités de perception catégorielle observées chez les dyslexiques rendent difficile l’apprentissage de la lecture.