4.3.1.La théorie du déficit phonologique

Le déficit phonologique est, pour de nombreux auteurs, l’axe de recherche le plus solide pour expliquer ce qui conduit à la dyslexie. Les processus cognitifs responsables des difficultés d’apprentissage de la lecture seraient de nature phonologique et de manière générale, plus en lien avec le langage oral qu’avec la perception visuelle (Frith, 1999 ; Snowling, 2000, , 2001). Les tâches de lecture de pseudo-mots permettent, particulièrement, d’évaluer les capacités de traitement phonologique (pour une revue voir (Rack, Snowling, & Olson, 1992). Les tâches de détection d’intrus, de jugement de similarité phonologique, de détection d’unités phonologiques communes, de segmentation syllabique et phonémique et une tâche de suppression de l’attaque de la syllabe permettent d’évaluer le niveau d’habileté phonologique des dyslexiques.

Le déficit phonologique touche principalement la capacité à manipuler les représentations sonores des segments de parole : la conscience phonologique (Wagner & Torgesen, 1987 ; Witton et al., 1998). Les dyslexiques présentent d’importantes difficultés dans des tâches de suppression de phonème initial. Particulièrement, sur des groupes consonantiques en début de mot (Bruck & Treiman, 1990) car l’accès au phonème individuel est difficile. Temple et al. (2001) montrent également des difficultés lors de tâches de jugement de rimes. Un consensus existe pour dire que la conscience phonologique est affaiblie ce qui constituerait le déficit principal de la dyslexie. Un entraînement métaphonologique est possible et efficace pour remédier à ces déficits (Lundberg, Frost, & Petersen, 1988).

Le déficit central décrit par la théorie phonologique se situerait au niveau des représentations phonémiques, elles-mêmes. Ce trouble est notamment observé dans des tâches de perception catégorielle dans lesquelles un enfant doit catégoriser par exemple les syllabes /ba/ ou /da/ réparties en un continuum artificiel de part et d’autre de la frontière catégorielle entre deux syllabes. Les dyslexiques présentent des difficultés à effectuer cette tâche de perception catégorielle (Reed, 1989), plus particulièrement pour des syllabes proches de la frontière inter-catégorielle, et qui s’opposent par le lieu d’articulation (/ba/-/da/) ou par le voisement (/ba/-/pa/) (Manis et al., 1997).

Pour résumer, la théorie phonologique évoque essentiellement l’existence de représentations anormales des unités phonémiques menant à des difficultés pour acquérir des bases nécessaires à l’apprentissage de la lecture. Cette atteinte phonologique peut être de natures différentes : au niveau de la conscience phonémique ou par exemple de la mémoire verbale à court terme. Un consensus existe pour dire que le dysfonctionnement des représentations phonologiques est une cause directe de la plupart des difficultés de lecture chez les dyslexiques. Mais, des contestations apparaissent quant à leur origine : un dysfonctionnement de bas niveau et plus général affecterait la perception auditive, visuelle et articulatoire (Pennington, van Orden, Smith, Green, & Haith, 1990 ; Rack, 1994 ; Snowling, 1981). Par exemple, des études ont montré que les dyslexiques ont des difficultés de perception de la parole dans le bruit de par l’altération à la base de leurs représentations phonologiques (Brady, Shankweiler, & Mann, 1983 ; Cornelissen, Hansen, Bradley, & Stein, 1996). Le bruit masque le signal de parole empêchant une extraction et un traitement corrects des indices acoustiques, ce qui amène les dyslexiques à mal catégoriser les phonèmes et par conséquent, à faire plus d’erreurs (confusions) que leurs contrôles.

La question est donc de savoir si le déficit phonologique a lui-même pour cause un déficit auditif. Les troubles auditifs ne sont pas nécessaires, ni suffisants pour expliquer la dyslexie (pour une revue voir Rosen, 2003). Rosen (2003) présente de nombreux arguments contre la théorie d’un déficit auditif de traitement temporel rapide. Notamment, il montre que même si certains traitements auditifs sont défaillants (Rosen & Manganari, 2001 ; Witton et al., 1998), tous ne le sont pas (Witton et al., 1998) et qu’ils ne représentent qu’une faible proportion. Un second argument est qu’aucune corrélation entre la sévérité du déficit auditif et les troubles de langage n’a été obtenue. Les déficits des mauvais lecteurs seraient imputables à leur perception spécifique de la parole, c’est-à-dire à sa nature phonologique et non auditive. Des études ont montré que le déficit de discrimination des phonèmes ne s’accompagne pas forcément d’un déficit de traitement des stimuli analogues non-verbaux (Mody, Studdert-Kennedy, & Brady, 1997 ; Rosen & Manganari, 2001). De même, des enfants avec de faibles habiletés phonologiques n’ont pas de problème pour rappeler des stimuli non verbaux très rapides (Nittrouer, 1999). L’ensemble de ces résultats est en accord avec un déficit perceptif spécifique à la parole plutôt qu’un déficit perceptif auditif général. Cependant, l’étude de Nagarajan et al. (1999) montre que le trouble de lecture est corrélé à une représentation neuronale anormale des stimuli auditifs brefs et rapides mais pas aux informations de nature langagière. Une faible réponse corticale à des stimuli brefs et successifs a été observée chez des adultes faibles lecteurs, celle-ci est corrélée aux difficultés de discrimination, de reconnaissance de stimuli acoustiques présentés rapidement et successivement. Serniclaes, Sprenger-Charolles, Carré et Démonet (2001) argumentent dans le sens où le déficit de traitement temporel serait de nature linguistique. Dans une tâche de discrimination de stimuli variant le long d’un continuum de lieu d’articulation /ba-da/, les dyslexiques se caractérisent par un pic de discrimination plus faible et une meilleure discrimination intra-catégorielle que les contrôles normo-lecteurs pour des stimuli verbaux alors que pour des stimuli non-verbaux, les résultats ne diffèrent pas entre les deux groupes. Cette étude montre que les dyslexiques présentent un déficit de perception catégorielle pour des stimuli présentés comme des stimuli analogues verbaux mais pas pour des stimuli analogues non-verbaux.

De plus, si le déficit auditif était la cause de la dyslexie, il devrait être présent chez tous les dyslexiques, or ce n’est pas le cas : 40 % des dyslexiques présenteraient un déficit auditif (Ramus, 2003) donc la plupart n’en aurait pas. Le déficit auditif n’est donc pas la cause du trouble langagier mais semble associé à celui-ci. Ainsi, des études privilégient l’hypothèse du déficit du traitement phonologique (Ramus et al., 2003).

D’autres hypothèses d’explication de la dyslexie développementale confèrent un rôle plus déterminant aux troubles sensoriels. C’est le cas de la théorie magnocellulaire qui relie les troubles phonologiques des dyslexiques à un déficit de traitement temporel général aussi bien en modalité visuelle qu’auditive.