4.3.2.La théorie magnocellulaire

Cette théorie repose à la base sur un trouble de la perception visuelle, nous présenterons donc, en premier, le versant visuel de la théorie magnocellulaire puis, en deuxième, nous aborderons le versant auditif de la théorie.

4.3.2.1.La théorie du déficit du traitement temporel visuel

à la fin du XIXe siècle, la dyslexie était décrite comme un problème d’origine visuelle : on parlait de « cécité verbale » (Déjerine, 1892). En effet, les principales erreurs décrites chez des dyslexiques étaient des confusions entre des lettres proches visuellement (/b/, /d/, /p/ et /q/). Cette idée de déficit des processus visuels était encore reprise dans les années 80, notamment par les nombreux travaux de Lovegrove.

Entre la rétine et le cortex, deux voies distinctes acheminent les informations visuelles de manière spécifique. La ségrégation des informations visuelles débute au niveau de la rétine mais elle est le plus marquée au niveau du noyau géniculé latéral qui se compose d’une couche ventrale (magnocellules) et d’une couche dorsale (parvocellules). Le traitement des stimuli visuels brefs et à changement rapide est principalement effectué par les grosses cellules (magnocellules) qui constituent le système magnocellulaire alors que le traitement des stimuli visuels statiques dépend de plus petites cellules (parvocellules) qui composent le système parvocellulaire (Merigan & Maunsell, 1993). Le système magnocellulaire est spécialisé dans le traitement des contrastes et est donc plus sensible aux faibles contrastes. Lovegrove et ses collègues suggèrent que les dyslexiques présenteraient des anomalies au niveau du système magnocellulaire qui est impliqué dans le traitement temporel rapide des stimuli visuels (cités par Galaburda & Livingstone, 1993 ; Galaburda, Menard, & Rosen, 1994 ; Lovegrove, Bowling, Badcock, & Blackwood, 1980 ; Lovegrove, Garzia, & Nicholson, 1990 ; Lovegrove, Martin, & Slaghuis, 1986). Notamment, les dyslexiques présenteraient plus de difficultés pour détecter des stimuli présentés rapidement que les normo-lecteurs (Martin & Lovegrove, 1987). Au contraire, les dyslexiques n’auraient aucun problème pour des stimuli visuels statiques, traités par le système parvocellulaire, par rapport à des stimuli rapides, ce qui appuie l’hypothèse de la théorie magnocellulaire. Des anomalies morphologiques et fonctionnelles des magnocellules au niveau du noyau géniculé latéral, lors de l’embryogénèse au moment de la migration des cellules, seraient une cause de ce dysfonctionnement. En effet, l’observation post-mortem de cerveaux de dyslexiques rend compte d’anomalies anatomiques des couches de magnocellules du noyau géniculé latéral : une diminution importante de la taille (plus de 20%) des neurones de la voie magnocellulaire chez les dyslexiques (Livingstone, Rosen, Drislane, & Galaburda, 1991). De plus, dans cette même étude les données en électroencéphalographie témoignent d’un retard et d’une diminution dans le traitement de stimuli rapides et à faible contraste chez les dyslexiques, alors qu’aucune différence avec un groupe contrôle n’est observée pour les stimuli lents et à fort contraste. Ce déficit visuel de traitement temporel rapide a été également observé chez le singe présentant une lésion cérébrale spécifique au niveau de la couche magnocellulaire du noyau géniculé latéral (Merigan & Maunsell, 1993). Deux résultats importants appuient donc l’hypothèse d’un dysfonctionnement magnocellulaire spécifique au traitement temporel visuel : (1) une vitesse de conduction moins rapide chez les dyslexiques du fait de la présence de neurones plus petits (plus petits axones) dans la couche magnocellulaire et (2) le délai des réponses électrophysiologiques aux faibles contrastes qui rend compte d’un système magnocellulaire plus lent. Un déficit de traitement de stimuli en mouvement a également été montré chez les dyslexiques (Cornelissen, Richardson, Mason, Fowler, & Stein, 1995) et confirmé grâce aux potentiels évoqués visuels (Schulte-Körne, Bartling, Deimel, & Remschmidt, 2004) et à l’IRMf (Eden et al., 1996). Ces résultats rendent compte du dysfonctionnement de la voie magnocellulaire visuelle chez les dyslexiques alors que la voie parvocellulaire ne semble pas atteinte.

Plusieurs études ont suggéré un lien entre les déficits du système magnocellulaire et des difficultés en lecture. La lecture fait intervenir, en premier lieu, des capacités visuelles. La mobilité des images rétiniennes des mots et la succession rapide de l’information visuelle en lecture dépendraient donc en grande partie du système magnocellulaire spécialisé dans le traitement des stimuli visuels brefs et à changement rapide. Or, les enfants dyslexiques ont des difficultés à percevoir des stimuli brefs qui se succèdent rapidement (Hari & Renvall, 2001). De plus, Stein et Fowler (1981) font état d’une instabilité de fixation oculaire due à un dysfonctionnement des voies magnocellulaires visuelles causant ainsi des troubles de lecture. La lecture devient ainsi inconfortable, l’enfant va éviter de lire au maximum et son développement des capacités de reconnaissance des mots va donc être altéré. Ces résultats pris ensemble permettent de penser qu’un déficit du système magnocellulaire pourrait être la cause de confusions visuelles lors de la lecture (Stein, Richardson, & Fowler, 2000 ; Stein & Walsh, 1997).

Une autre hypothèse d’explication de la dyslexie est basée sur un déficit perceptif auditif. De nombreuses études ont rapporté un traitement auditif ralenti chez les dyslexiques suggérant qu’il serait possible que le même système rapide que pour les stimuli visuels soit déficient pour la modalité auditive (Reed, 1989 ; Tallal, 1980a, , 1984 ; Tallal & Piercy, 1973).