Introduction

Si l’écriture ne constitue pas l’ensemble du travail d’une recherche, le travail majeur de la thèse consiste à laisser des traces par l’écrit, à l’image des traces que laissent les sujets en errance, qui choquent et marquent l’esprit de ceux qui les regardent. J’ai ainsi eu besoin d’écrire pour éviter que les choses ne se perdent, mais aussi pour ne pas rester moi-même « lieu de dépôt » : au lieu d’être la destinataire finale du dépôt de ces sujets, je dépose quelque chose pour eux. Ainsi ce travail d’écriture produit une trace qui est proche du matériel produit par un écrivain public ou un « reporter ». Cependant, ce travail a également eu un rôle pour moi, fonctionnant comme un entre-deux, une fonction écran servant d’interface et de médiateur, mais aussi comme contenant.

Face à une clinique où les choses « filent », ou rien ne reste, j’ai essayé de retenir. Cependant, je suis aujourd’hui consciente que, tout comme les sujets en errance qui n’investissent que la surface (celle des institutions, celle des relations intersubjectives), je n’ai moi-même, par l’écriture, traité qu’en surface ce que mon observation soulevait. Il est d’ailleurs ironique de remarquer que l’écriture elle-même est un dépôt de surface.

Face à la problématique d’indiscrimination de ces sujets, mon travail a consisté principalement à mettre des contenants. Psychiquement, j’ai tenté de fournir un « holding » ; travail qui tente de se représenter des formes de contenant afin de pallier leur expérience de rupture, de perte et d’absence de maîtrise. Tentative de mettre une continuité là où pour ces sujets, il ne semble plus en exister.

L’approche interculturelle selon C. Clanet (1993) souligne l’importance des phénomènes transitionnels décrits par Winnicott. Ces phénomènes de structure paradoxale se situent dans une aire intermédiaire d’expérience. L’espace intermédiaire figure un lieu où peuvent se déposer les processus de rupture. Lieu qui favorise le passage entre deux états successifs. Ces expériences se vivent dans l’incertitude quant au rétablissement de la continuité, de la confiance, de l’unité et de l’intégrité. Cet espace intermédiaire m’a été personnellement d’un secours précieux lors de la disparition de mon premier directeur de recherche, Monsieur Jean Ménéchal. Il laisse une trace de son passage par son influence sur ma réflexion au cours de nos années de travail ensemble ; il a cru à mon potentiel et à ma capacité à saisir cet espace intermédiaire.

Le relais pris par Monsieur le Professeur Bernard Duez a aménagé une continuité dans l’expérience de recherche et une complémentarité. Ainsi, j’ai été influencée par leurs pôles d’intérêts respectifs, plus spécialement la démocratie, la cité pour l’un, la dimension sociale, le groupe pour l’autre.

L’objet de cette étude est le dispositif d’accueil auprès des sujets en errance. Il vise, par sa fonction cadre (J. Bleger) à favoriser l’accès du sujet à son espace potentiel grâce à sa capacité de recevoir et de transformer les projections d’un sujet en crise. Cette fonction peut exister chez toute personne ou au sein d’un groupe (R. Käes dans C. Clanet, 1993). Ce champ conceptuel recouvre en partie ce que j’ai traité et qui a été mis à l’épreuve par plusieurs hypothèses.