3. Sur le choix des termes

Après avoir exposé mes interrogations, ma problématique et mes hypothèses, je propose de préciser sur quoi celles-ci se centrent afin de faire participer le lecteur à mes tentatives de définition des termes que j’emploie.

J’ai longuement buté sur ma difficulté à trouver des mots adaptés pour parler de ces sujets et de leur problématique psychique. Même si certains termes étaient adaptés, je les trouvais réducteurs. Dans la littérature psychanalytique, je n’ai pas trouvé de termes me permettant d’être précise sur les phénomènes que je rencontrais. J’ai ainsi erré entre plusieurs termes. J’ai même tenté d’inventer un terme, le « dispositoire urbain », mais ce néologisme était trop étrange, même si ça résonnait avec « dépôt », « déposer », « dispositif », « trottoir », » désespoir », mais également suppositoire. Tous les termes me semblaient trop péjoratifs ou réducteurs. J’avais l’impression, avec des mots, de ramener le sujet à un niveau très primitif et de le mettre dans un état encore plus aigu de détresse. La démarche de recherche centrait encore davantage le regard sur tout ce qui désavantageait le sujet. Même si je me disais que le sujet n’avait pas attendu que je fasse une recherche pour être dans la rue, est-ce que je ne le démunissais pas encore plus en mettant des mots sur sa situation ? Sans doute les images que ces personnes me donnaient m’envahissaient au détriment du mot qui est déjà secondarisé par rapport à l’image. Regarder ces personnes en face est déjà une difficulté qui est entretenue par une convention sociale implicite et innommée. Est-ce que je ne reproduisais pas la même chose par ma difficulté qui consistait à m’appuyer sur ma représentation de chose qui passe par la représentation du mot et puis par l’écrit ? Avoir des images et des idées non-nommées à l’égard d’autres êtres humains et en parler également, c’est possible. Mais c’est plus difficile de s’approprier les termes choisis et c’est seulement vers la fin de cette recherche que j’ai réussi à les nommer. Finalement, je suis parvenue à « lâcher » ma résistance sur ce point en le partageant car un objet partagé permet sans doute de diffracter et ainsi de contenir la culpabilité. En effet, on éprouve une certaine honte à être là, pour voir « ça » et la vision de ces sujets mobilise une part de culpabilité en nous. J’ai retenu l’idée qu’il existe un accord inconscient entre l’organisation sociale et l’organisation psychique de ces sujets en ce qui concerne des aspects inimaginables qu’ils donnent à voir. Non sans l’aide d’élaboration, j’ai fini par trouver un contenant langagier permettant de parler du fonctionnement psychique de ces sujets. L’actualisation dans le social autour d’une fantasmatique du déchet à leur égard me permet d’avancer avec l’idée d’un processus « déchetterie ».