Le processus de « déchetterie »

Le choix de ce terme a constitué une difficulté pour moi. Si je l’ai conservé, c’est parce qu’il rend compte à la fois du processus interne des sujets et du vécu déposé en l’autre. Il souligne le lieu de la blessure du sujet et traduit en même temps le point de vue de l’autre. Ces deux espaces se chevauchent. Ce terme de « déchetterie » peut choquer mais il ne fait que refléter, signaler le malaise et la honte que l’observateur éprouve au contact et en présence de ces sujets.

J’ai ainsi « fabriqué » une image, celle de la déchetterie, pour faire sentir, toucher, voir, entendre ce que ces sujets nous font vivre. Les SEU « agissent » souvent les choses sur le plan moteur à travers ce que nous appelons habituellement des « passages à l’acte ». Le terme « passage par l’acte » comme avec les « phobosocialités » en attaque ou en fuite du lien (cf.C. Melato, 2006), est plus précis dans cette clinique. Cet « agir » se fait également en appui sur la dimension visuelle mais aussi par d’autres voies sensorielles. Ceci constitue un mode intrusif ou agressif d’entrée en contact. Ils nous montrent ce qui doit rester discret et intime (crachats, urine, plaies, un corps sale et un visage mal rasé, des déchets et des objets qui traînent). Ils nous montrent ce qui vient de l’intérieur de leur corps et de cette façon, par le biais du visuel, « pénètrent » à l’intérieur du corps d’autrui. Ce qui doit être contenu au-dedans de leur corps ou à l’intérieur de leur sphère privée se trouve exposé à l’extérieur. Lorsque ces éléments nous parviennent et « entrent » dans notre champ de perception par nos voies sensorielles, cela nous fait violence.

La confusion de l’espace dedans/dehors se recoupe avec leur façon d’exposer leur lieu de vie intime à leur entourage. Ils « habitent » nulle-part ou ils occupent des « non-lieu » mais d’une certaine façon le sujet vient habiter l’intérieur de l’autre par une forme particulière d’identification projective telle que l’univers du « claustrum » évoqué par D. Meltzer (1992). Il s’agit d’une forme d’aliénation du sentiment d’identité de ces sujets qui s’est fixé dans la partie infantile de leur self habitant le claustrum.

Ces sujets, eux aussi, ressentent souvent les autres comme intrusifs. Un sentiment qui se manifeste par rapport aux institutions, aux dispositifs d’accueil, et à la société en général. Par exemple, lorsque dans le lien d’accompagnement, une pression s’opère sur eux pour qu’ils cessent de s’afficher au dehors, ils ressentent cette exigence comme une violence dirigée contre eux. En ce sens, on peut parler d’un vécu d’intrusion réciproque.