Auprès des sujets de cette clinique qui présentent une problématique de confusion des espaces privés/publics et dedans /dehors, le concept de W.R. Bion de relation contenant/contenu (1962b) est un terme dynamique qui semble pertinent puisque cette fonction de contour ou de délimitation semble perturbée chez eux.
A. De Mijolla (2002) interprète en terme d’interface cette relation dynamique13 proposée par Bion comme pouvant occuper une fonction d’interface contenant/contenu : lieu où s’opère des interactions, des influences et des transformations réciproques. En effet, la notion de structure est avancée par W.R. Bion. Il parle effectivement de structure par la fonction alpha qui produit « une barrière de contact », et qui est considérée, elle aussi, comme une structure. La barrière de contact se manifeste dans la clinique entre vue réaliste et fantasmes d’origine endopsychique « comme quelque chose qui ressemble aux rêves (…) responsable du maintient de la distinction entre conscient et inconscient » (1962b, p. 43, 44).
Le dispositif d’accueil des SEU constitue un espace ou un « lieu ».
Si la fonction de l’interface contenant/contenu des SEU est perturbée, elle se manifeste au travers de leur investissement de l’espace et des objets. Le dispositif d’accueil est un espace qui montre que le SEU utilise l’espace extérieur comme son espace intime. Ainsi, le dispositif d’accueil est un moyen d’appréhender la confusion des topiques internes et externes chez certains sujets afin d’envisager quels aménagements vont pouvoir fournir une fonction de contenance imaginaire dans leur fonctionnement psychique. Notons toutefois que Bion considère que la personnalité psychotique est une composante normale du moi.
La photographie comporte des espaces contenus par un contenant.
Considérons la possibilité de transposer cette conceptualisation d’une relation entre contenant/contenu au médium que j’étudie qui est la photographie. Cette transposition que je propose concerne l’objet-photo mais également la dimension relationnelle qui entoure l’activité photographique. W.R Bion (1962b) développe l’idée que le contenu peut être représenté à l’aide d’un contenant. Un contour externe, telle une enveloppe, détermine le contenu. Les limites définissent ce qui est « dans » et ce qui est « en dehors » de la photo. Il arrive parfois même une réversion entre l’un et l’autre, surtout dans « l’acte photographique » où cette activité humaine devient le contenu donnant ainsi un cadre à la photo ou vice-versa.
Certains SEU peuvent remplir l’espace d’objets, de graffitis, de paroles ou encore d’actes. Pour d’autres SEU, plus démunis, le bruit, l’odeur ou l’image aurait valeur de trace tel un contenu : ce qui leur donne tout de même eux aussi, un contenant. Ils touchent ainsi autrui et ces traces sont retournées par autrui. Ils utilisent autrui de manière à ce que l'autre leur retourne quelque chose les concernant. Dans cette dynamique l’autre leur fourni un contenant nécessaire pour se définir ou pour se déterminer. Le contenant langagier, ne reprend-t-il pas l’image d’une consistance de ces éléments avec les termes « un voile de fumée » ou encore « une odeur à couper au couteau » ?
W.R. Bion (ibid.) insiste dans cette « relation contenant/contenu » sur les fonctions enveloppantes, du touché, de la voix, du regard qui constituent un cadre limitant, sécurisant et contenant. La relation mère - enfant est le prototype de ce type de relation. La mère, par sa fonction « alpha », transforme les projections, éléments sensoriels bruts, « éléments bêta », non pensables en éléments disponibles à être pensés. La fonction alpha protège le sujet de l’état psychotique, tandis que la fonction bêta le met à nu. La mère devient ce contenant lorsque elle exerce cette fonction qu’il me semble possible d’envisager en terme de structure d’interface contenant/contenu et de filtre. Ce travail de transformation est un préalable à toute introjection par l’enfant d’éléments pensables. Quelques qualités qui font qu'un objet ou une personne soient contenants sont « la capacité de rêverie » (1963, p. 45), la chaleur, la douceur de la voix (qualités sensorielles), la quiétude, la sérénité, la disponibilité (qualités émotionnelles), le sentiment d'être unique ou exclusif. La rêverie, un état d’esprit réceptif, capable d’accueillir les identifications projectives, est un facteur de la fonction alpha de la mère (1962b, p.54).
A. de Mijolla (2002) reprends la théorisation de cette relation comme dérivant de la conception kleinienne de l’identification projective. Le premier élément défini par W.R. Bion est noté alpha et bêta et peut se définir comme une relation dynamique entre contenant et contenu. L’élément projeté, pour devenir objet psychique, doit rencontrer un contenant, une fonction de pensée. De ce fait, l’élément intrusif, projeté, se rattache à une symbolique masculine et l’élément récepteur, contenant, à une symbolique féminine. Se trouve ainsi constitué un modèle figurant entre le patient et l’analyste, la mécanique transféro – contre – transférentielle, sans préjugé au départ des caractéristiques susceptibles de s’y inscrire.