Le rapport de ces sujets à l’habitation rend manifeste la perturbation de leurs limites, ce qui affecte la fonction de contenance. Il s’agit de tenter de comprendre ce qui sert à délimiter la frontière entre sphère intime et domaine public permettant de constituer un « lieu » pour ces sujetscar l’indifférenciation des espaces affecte le vécu intime de ces sujets. S’agit il d’abord de la fragilité des limites internes qui influencent l’instabilité des limites externes ou bien le contraire ? Les deux propositions sont pertinentes car l’être humain est constitué par, avec, et pour l’autre. La psyché se développe dans un groupe familial et dans un contexte socio-économique déterminé. La carence de limites externes et d’un méta-cadre social qui marque les bornes peut déstabiliser les limites internes de l’individu et ainsi son équilibre psychique. Ce trouble de distinction de limites comporte certains enjeux pour le sujet et je travaille précisément sur ces enjeux intersubjectifs et intrapsychiques.
L’errance s’organise autour de l’inorganisé. Les termes de « lieu », d’« habitat » et d’« espace » mettent en avant le question suivante : comment le sujet non seulement subsiste quelque part, mais existe subjectivement ? Cette question peut se poser dans le sens de « demeurer » quelque part, ou d’« habiter ».
L’habitat, pour le SEU, revêt un sens différent de celui que nous entendons dans l’idée de logement. Avec l’habitat il y a une dimension de habitus, mot latin signifiant ce qui est acquis et caractéristique d’un groupe social. Ce mot est aussi à l’origine de « habituer » qui construit le sens de habitude (du latin habitudo). L’habitude est une disposition acquise par la répétition, à être, à agir fréquemment de la même façon. L’habitat, qui comporte cette référence aux habitudes, fait rentrer en scène la fonction du jugement.
Freud dans l’article sur La dénégation (1925)parle du jugement d’attribution selon le principe de plaisir.Le sens de l’attributionà partir de cet article ne concerne pas ce que l’on attribue à autrui mais il s’agit de ce que l’on s’attribue à soi-même. Freud mentionne que « l’avoir précède l’être » et ainsi « attribuer » équivaut à « avoir » dans le sens de « j’ai ou je n’ai pas » ou bien «c’est à moi « ou « ce n’est pas à moi ». Par rapport à ce que le sujet possède, il juge « ce qui est bon pour moi » ou « ce qui est mauvais pour moi ».
Le jugement d’existence est en rapport avec le jugement d’attribution et l’investissement pulsionnelcar ce que le sujet possède constitue en partie ce qu’il est. Le jugement d’existence fonctionne selon le principe de réalité. Ainsi, après avoir fait l’expérience d’un objet ou d’un lieu dans la réalité psychique, le sujet juge (selon l’économie du plaisir), la localisation de l’expérience : « est-ce que c’est en moi », ou bien « où peut-on le retrouver » ? Mais pour le retrouver, cette quête de retrouvailles avec l’objet ou la localisation de l’expérience repose sur un investissement pulsionnel qui serait dans un mouvement sous-tendu par le désir. On peut présager que le « choix » des lieux où ces personnes existent est orienté par leurs premières expériences de s’éprouver exister et de se sentir ancrés. On peut également supposer que l’incapacité d’habiter un lieu peut relever d’un contre - investissement pulsionnel….ou d’une absence de désir.
Le logement, selon F. Lugassy (1989), aurait plusieurs fonctions tant sur le plan psychique que social : celles du refuge narcissique, d’étayage de l’identité, d’ancrage spatial. Ces fonctions contribueraient à l’image du corps propre car l’occupation d’une habitation donne une certaine autonomie par rapport à l’espace primaire qui renvoie au corps de la mère. Le rapport au logement serait une spatialisation de l’identité. C. Lévi-Strauss(1958) souligne l’importance du logement dans l’imaginaire : « Le cadre imaginaire de la maison prend une consistance symbolique de nature à lui conférer une efficacité symbolique ».
Dans Lieux du corps (1971), Winnicott parle du développement en rapport avec le processus d’habitation (in-dwelling) ouderésidence en rapport avec la « personnalisation ». Ce terme attire l’attention sur le fait que l’habitation dans le corps et dans ses fonctions est reliée solidement à l’habitation du sujet dans sa psyché.
La fonction du logement, en effet, contribue aux habitudes et explique en partie le besoin d’un logement pour des personnes qui en possèdent. Cependant cela n’explique pas (en dehors des raisons économiques que j’écarte ici) pourquoi les SEU ne se logent pas, ni ce qui fonde, pour eux, leurs habitudes qui nécessiteraient de posséder un logement. De même, le choix pour tel ou tel lieu occupé par le SEU échappe souvent à toute logique.
La clinique de l’exil fournit des pistes apportant des précisions sur la question de l’habitation. La maladie de l’exil, pour F. Benslama (2004, p. 27), n’est pas la perte du pays mais du lieu où exister. Le « lieu » apparaît pour cet auteur comme ce qui met en jeu la dimension de l’habitabilité existentielle et psychique.
Cette précision concernant l’habitabilité existentielle et subjective est soulignée au travers des vers du poète écrivain américain du dix-neuvième siècle, Oliver Wendell Holmes(1809-1894),originaire de Boston. Le passage suivant (in, http://www.brainyquote.com/quotes/keywords/home.html ) a peut-être été inspiré par son séjour à Paris (Avril 1833 à Octobre 1835) pour ses études de médecine où il se trouvait éloigné de son pays d’origine :
‘“Where we love is home, home that our feet leave, but not our hearts” ’Selon la langue employée, quelques nuances concernant cette problématique apparaissent. Considérons quelques définitions dans le langage courantoù l’on peut dégager plusieurs thèmes parmi les définitions données en anglais :
La question d’attachement affectif. Le mot « home » en anglais est traduit en français simplement par «patrie », « hospice », qui comporte le sens en français de « foyer ». Ou encore: “The abiding place of the affections, especially of the domestic affections”.
La question des habitudes ou encore celle de l’origine est également au premier plan, ainsi : “One’s dwelling place; the house in which one lives; especially, the house in which one lives with his family; the habitual abode of one’s family; also, one’s birthplace” (trad. L’endroit où l’on vit avec sa famille, la maison de l’enfance ou le lieu de naissance).
“The locality where a thing is usually found, or was first found, or where it is naturally abundant; habitat; seat; as the home of the pine”.( trad. L’endroit où la chose fût découverte, là ou elle abonde. Le lieu où elle peut prendre racine). Cette définition nous permet ainsi d’évoquer la métaphore de l’arbre qui apparaît dans son écosystème.
Ce qui n’est pas étranger, mais ce qui est personnel ou proche de soi. Cette idée nous rappelle l’idée de jugement d’attribution citée plus haut dans La dénégation. Freud mentionne en effet que le non-Moi (ou est ce qui est étranger) lui est tout d’abord (ou de tout près) identique (Freud, 1925a, p. 137).
On retrouve la notion d’incertitude qui porte sur un territoire et sur les limites d’un territoire avec le terme allemand de HEIMAT « village natal » quirenvoie à la question d’un pays d’origine. Freud aborde la question du flou entre ce qui est étranger et ce qui est familier dans L’inquiétante étrangeté (1909), pouvant s’agir tout aussi bien d’une « inquiétante familiarité » !
Et pourtant beaucoup de SEU sont originaires des villes dans lesquelles ils se trouvent sans pourtant posséder un « home » ou un « chez soi ». Ils sont installés de façon continue, non pas dans un lieu, mais dans l’état d’errance.
Bien entendu, ce n’est pas le fait de s’installer en terrain étranger, ni de quitter son pays d’origine qui fait des personnes expatriés des errants, du moins pas dans le sens de cette étude. Comment qualifier alors ceux qui ne possèdent pas de « home » ? Si on se penche sur une définition courante « homeless » veut dire « destitute of home » ou dépourvu de logement.
L’habitation est le lieu ou l’espace dans lequel une personne vit, s’agissant aussi bien d’un domicile au sens de « home » ou d’un endroit. Pourrions-nous donc conclure que le SEU, (selon l’espace qu’il occupe,) peut tout de même être considéré comme possédant un « chez soi » même s’il ne possède pas d’attestation de loyer.
L’habitat, un statut mouvant. Le SEU peut attribuer à l’habitat un statut mouvant, temporaire. Le lieu habité peut-être la rue et ne posséder aucune frontière avec l’espace public se situant ainsi dans une zone floue entre l’espace privé et l’espace public. Cependant, pour ces personnes, l’habitat semble occuper certaines fonctions, même si ce terme ne renvoie pas forcement à un lieu géographique. L’habitat peut se référer à d’autres objets ou à d’autres lieux. A titre d’exemple, souvent les SEU ne possèdent pas un « chez soi », mais ils ont pourtant besoin d’un lieu qui est significatif pour eux, même si c’est seulement pour y déposer quelques objets.
La question de la non-demande de réinsertion indique que cet élément est assez éloigné, dans la plupart des cas, des S.E.U., de leurs préoccupations immédiates. L’errant est, de fait, en situation d’instabilité. Son équilibre précaire, son imprévisibilité, sont le reflet de ruptures antérieures. Ces ruptures géographiques, familiales, résidentielles, affectives, entraînent une perte de confiance en lui-mêmequant à son accès à une formation ou à un projet. Les dispositifs d’insertion mobilisent le confit intrapsychique autour des représentations de pouvoir et de contrainte. Ne disposant que de peu de repères, l’errant, pour se constituer comme sujet de son histoire, s’accroche à ce qui lui reste de privé : son errance. Ainsi, cette errance, de part la privatisation de l’espace public, lui accorde une place. L’apprivoisement du sujet passe donc par la reconnaissance par autrui de son identité en tant qu’errant.
Certains errants se servent des phénomènes de la rue, tout en se servant de cet endroit comme lieu principal d’étayage de leur Moi. En effet, la rue est souvent associée à des phénomènes tels que les regroupements, la violence juvénile, le “tag”, les manifestations, l’errance. Ceux-ci sont souvent considérés comme relevant soit d’une défaillance du système de régulation de la vie publique (c’est le domaine du politique), soit d’une manifestation de la sphère privée en crise (c’est le domaine de l’éducation familiale et des crises de la vie).
Ce que la rue peut nous enseigner en tant qu’analyseur du lien social, trouve sa valeur dans le fait que la rue renvoie à d’autres espaces. Ces “ espaces autres ” sont souvent le lieu où l’on peut observer la formation, souvent conflictuelle, de la socialité (citoyenneté). Menard (1992) fait remarquer que la rue est un “ non-objet ” dans la mesure où son utilisation est généralement métaphorique ou métonymique. Nous pensons ici aux lieux d’accueil de nuit et de jour, aux associations de distribution de biens comme l’alimentation, moyens de subsistance, mais aussi aux lieux comme les terrasses du café, halls des gares, squares et bancs. D’autres lieux tels que des terrains de jeux pour enfants, l’entrée des immeubles, et les cages d’escaliers sont davantage destinés à un usage privatif. Ces territoires sont vagues dans la mesure où ils sont à mi-chemin entre le collectif et l’individuel, entre le mouvement et le stationnement. Si ces espaces sont vagues et confus ils ne sont pas vides pour autant. Nos observations confirment ce que dit Menard à leur propos : « ces espaces sont remplis de personnes, de vie, de savoir faire, de consommation, d’inquiétude mais aussi de nonchalance. Et parce que leurs limites symboliques sont floues, ces espaces sont faciles d’accès ».
Ce manque de repères et cette situation d’équilibre précaire parmi une frange de la population est développé par R. Castel (1995) dans Les métamorphoses de la question sociale.Le constat de cet auteur porte sur « la présence apparemment de plus en plus insistante, d’individus placés en situation de flottaison dans la structure sociale, peuplent les interstices sans y trouver une place assignée : Il évoques ces (…) silhouettes incertaines, aux marges du travail et à la lisière des formes d’échange socialement consacrées » (p. 13) et les « zones de vulnérabilité » de notre société actuelle. Dans un monde en crise, les rebondissements réciproques entre l’approche sociétale et l’approche individuelle deviennent centraux dans les enjeux identitaires.
Pichon P. (2001), dans son article sur le classement des individus selon leurs caractéristiques communes, parle de la rencontre des usagers de l’espace public comme d’une « exposition de soi au cœur de l’expérience commune ». Cette analyse porte principalement sur la situation de l’activité de la « manche ». Forme de signature de ces personnes, pour cet auteur, la mendicité moderne procède d’un rappel incessant à l’inscription de sa résolution sur l’agenda politique. L’accent est mis sur la dimension commune de l’activité ; activité qui laisse des traces, participant ainsi à son inscription publique et je pense, à l’affichage de son identité.
Certains sujets, sous l’effet de économie sociale et, ou psychique, donne à voir dans un espace public certaines pratiques qui relèvent de l’intime.
L’idée d’une scène interstitielle, ce qui amène l’intime dans le public, pourrait finalement jouer un rôle de soupape ou d’espace du possible devenant des lieux d’articulation ou de recombinaison de normes sociales (F. Dorso, 2007). Il n’y a pas forcement antinomie entre l’intime et le public et certains auteurs semblent même souligner comment l’intime trouve refuge dans le public (D. Zeneidi-Henry, 2002). Le lien groupal(E. Pichon-Rivière, 1971), est la résultante d’interactions inconscientes entre le monde interne individuel et la structure sociale où il vit. Par leur dysfonctionnement, les marginaux qui sont fantasmatiquement perçus comme « déchets », peuvent émerger comme porte voix du déséquilibre social.
Mais si certaines pratiques ont quitté le domaine privé pour rejoindre le public, on constate une mobilité de la limite. Comment celle-ci, lorsqu’elle est déplacée, dévient-elle réceptacle de l’intime ?
En ce qui concerne le plus grand nombre de SEU que j’ai rencontrés, ils ne vivent pas dans la solitude. Il semble que l’espace public soit un lieu de rencontre potentiel, un espace de rencontre avec celui qu’il cherche dehors : lui-même !
Pour Bachelard G. (1957), l’expérience de la survie est écartèlement du sujet : l’espace intime ne sépare pas le dehors du dedans, mais les réunit. C’est en cela qu’il permet le maintien de soi, l’unité même de la personne et sa permanence : les objets personnels que l’on garde sur soi, le portefeuille et quelques photos, un petit couteau. Le corps devient réceptacle (contenant) du monde privé du sujet lorsqu’il possède encore la capacité de conserver sur lui-même quelques objets personnels.
Les couches de vêtements superposées les uns sur les autres, même lorsque la température ambiante ne le justifie pas, laissent deviner une carapace protectrice symbolique. Elles peuvent même marquer, entre la personne et autrui, une limite afin de tenter de conserver une enveloppe propre à soi, enveloppe qui se déplace avec elle, enveloppe externe qui « pallie » au défaut de l’enveloppe psychique (ou interne).
La question d’autoconservation structure les tactiques de survie des SEU. Lorsqu’il faut chaque jour renouveler la satisfaction du strict minimum (nourriture, nuitée, cigarettes, vin) cela donne des repères et des limites dans le temps. Cette organisation pourrait avoir comme but inconscient de faire oublier au sujet son existence psychique. Tout en se cherchant dehors et en se confrontant aux limites que lui impose la structuration sociale (horaires des commerces pour la manche, des foyers, des épiceries) ils mettent paradoxalement en œuvre des moyens de ne pas avoir des limites propres et ainsi de se perdre (se diluer).
Tout en ayant une connaissance et une expérience antérieures avec la famille et avec l’institution, les personnes qui errent dans l’espace urbain ont des difficultés à s’inscrire dans l’une comme dans l’autre. Et pourtant il est intéressant de noter que, malgré les qualités mythiques souvent attribuées au vagabondage et aux espaces mal identifiés, un regard plus attentif nous apprend que précisément, l’errance se situe presque toujours à l’intérieur ou à la périphérie des espaces liés à la famille ou aux institutions.
Qu’en est –il de leur contour ?
Je m’interroge sur l’état des limites de ces sujets. L’errance mets en question la scène psychique et les limites internes. Pour les SEU, cette question de limites et de contenance concerne plusieurs niveaux : dedans / dehors, privé / public, moi / non-moi. Le défaut de délimitation touche aussi les interrelations qui concernent les frontières mal consolidées entre le corps et l'espace.
Freud, dans Le malaise dans la culture (1929), commente la notion de « sentiment océanique» suggéré par Romain Rolland14 , notion qui a incité Freud, dans cet ouvrage, à préciser sa pensée sur le narcissisme et sur le dualisme pulsionnel. Freud évoque dans cet ouvrage la pathologie liée aux états où les frontières entre le monde externe et interne sont perturbées. Le malaise mentionne des situations ou des états où « (…) la délimitation du moi d’avec le monde extérieur devient incertaine, ou dans lesquels les frontières sont tracées d’une manière vraiment très inexacte ; des cas où des parties du corps propre, voire des éléments de la vie d’âme propre, perceptions, pensées, sentiments, apparaissent comme étrangers etn’appartenant pas au moi (…). Ainsi donc le sentiment du moi est lui-même soumis à des perturbations et les frontières du moi qui ne sont pas stables » (p.7-8).
Freud ramène le « sentiment océanique » au sentiment de plénitude caractéristique du moi primaire ; état semblable au sentiment du nourrisson avant que n’intervienne la séparation psychologique d’avec sa mère.
Le narcissisme illimité, dit Freud ici, est caractéristique de l’état amoureux. C’est ce qui est également présent dans l’effacement narcissique de la frontière entre le moi et l’objet dans la psychose.
Il me semble que les formes archaïques du narcissisme et la question de « l’illimité » qui préoccupait Freud, sont en rapport avec la problématique spatiale de mon travail, qui, sur le fond du symptôme de l’errance, montre une incertitude des limites entre le monde interne et le monde externe. Ce flou des limites se rejoue pour ces sujets, par des confusions entre monde privé et domaine public. Je reprends le terme utilisé par Freud de Hilflosigkeit qui se réfère notamment dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926)à l’enfant en désaide, « réduit aux cris d’appel à l’aide » pour apaiser ses tensions internes (Freud, 1929, in préface 2000, p. VII). En amont du symptôme de l’errance, ne s’agit il pas pour ces sujets d’un état de détresse proche de ce que Freud décrit concernant la vie précoce : « le nourrisson ne fait pas encore la départentre son moi et le monde extérieur » (1929, 2000, p. 8). Il incombe à l’objet maternel dans le soin primaire de prendre en compte les limites de ce que la détresse infantile peut endurer. On voit bien que la dimension économique : la question de la quantité et de l’intensité des tensions est présente mais dépendante de ce que la présence ou l’intervention de l’objet va modifier de cette tension.
L'état d'errance, c'est-à-dire l’instabilité de limites externes (avec la question spatiale de l’habitation) vient remettre sur la scène sociale la fragilité et vulnérabilité des limites internes .
Dans leur prise en charge « thérapeutique », il s’agit donc de trouver des médiations pouvant contenir leurs processus psychiques. Auprès des sujets dits « normaux » ou « névrosés » qui sont en capacité d’élaboration psychique, on fait référence à l’idée de travailler sur le contenu imaginaire. Un travail de groupe autour d’un outil de médiation permet, par exemple avec le Photolangage (C. Beslisle et A.Baptiste, 1965) de s’exprimer, à l’aide d’une photo, sur ses représentations par rapport à une thématique précise. C. Vacheret, (1991 in A. Beslisle et al.) et dans différents travaux développe les applicationsde cette méthodedans le travail clinique dans une perspective psychanalytique et groupale. Dans le cadre du Photolangage, la dynamique psychique autour de la spécificité de la photographie en tant que support imaginaire et échange de contenus a fait l’objet de théorisation et de modélisation, montrant comment, en tant qu’objet médiateur et intermédiaire, elle permet aux membres du groupe de faire part de ses propres représentations mais également d’être travaillé par les représentations d’autrui. C’est une manière d’échanger non seulement des contenus imaginaires entre les membres d’un groupe mais également d’envisager la photo dans sa dimension de contenance (C. Vacheret, 2006). Auprès de sujets dont les contours sont flous, cet aspect contenant de l’approche semble particulièrement intéressant. Cependant, la méthode Photolangage et ses résultats thérapeutiques reposent, en partie, sur la dynamique groupale et sur le respect d’un protocole précis. Bien que les SEU puissent difficilement « se tenir » à l’intérieur d’un tel cadre, les réflexions sur la spécificité de la photo semblent en partie, transposable à mon champ d’étude.
Nous pouvons aussi évoquer le bien fondé du groupe de parole auprès de ceux qui sont en mesure d’échanger en mettant des mots sur ce qu’ils éprouvent et qui peuvent se mettre un minima, à la place d’autrui. Dans une telle situation, il est possible de s’appuyer sur les représentations fournies par le groupe, qui fonctionne comme contenant, pour rebondir sur ses représentations propres. La parole de l’un est entendue, accueillie et traitée au-dedans par d’autres sujets, qui à leur tour s’expriment. S’accomplit ainsi un recueil de contenus. Ces situations susmentionnées supposent la participation des sujets ayant un minimum de dimension d’intériorité. Ces sujets doivent avoir constitué un dehors suffisamment solide pour pouvoir recueillir des contenus – ce qui permet de dire que ces personnes possèdent un « dedans ». En revanche, avec des sujets en errance qui sont en deçà d’une structuration ayant une frontière en capacité de contenir un contenu, il faut leur proposer encore autre chose qu’un simple échange de contenus.
La prise en charge de ces personnes peut également poser le problème d’un excès de la fonction de contenance venant de l'extérieur. Les systèmes d’accueil et d’accompagnement des personnes touchées par l’exclusion et la marginalité mettent souvent en place une assistance qui, si elle devient excessive, peut étouffer la personne que l’on est sensé aider, par une prise en charge qui fournit trop de contenance extérieure qui ne permet pas l'élaboration. Cette configuration aboutit alors à une aliénation du sujet car trop entouré ou trop enveloppé.
Même les situations cliniques et le matériel que nous voudrions recueillir ne se prêtent pas souvent à une analyse ou à des échanges à long terme. Ces personnes, même si elles parlent beaucoup d’elles-mêmes, parlent peu de leur vécu intime. Le manque de matériel anamnestique nous oblige à prêter attention à ce qu’ils nous donnent à voir, à entendre, à sentir, à ressentir. Nous devons aussi prêter attention à ce qui environne la parole car au niveau communicatif, les sujets manquent de contenant langagier, ce qui nécessite d’entourer d’une écoute attentive leurs dires qui sont souvent vides d’informations ou de sens qui permettrait une interprétation. En effet, les indices que nous accueillons à travers leur façon d’investir l’espace et leur manière d’investir autrui nous permettent de penser que, pour ces sujets, les contours de leur identité sont flous et qu’ils sont en mal de repères. Le défaut de capacité de contenance présente pour eux le risque que rien ne soit retenu. Les images que ces personnes nous donnent d’elles-mêmes, de leur vécu, de leurs sentiments « parlent » de perte de soi, d’écoulement, d’une hémorragie du moi dans l’espace, de volatilisation, de n’être que de la « diarrhée ». Certains attribuent l’origine de leur détresse venant « du dedans », mais pour la plupart des sujets, ils en parlent comme d’une situation qui leur « tombe dessus » ou qui vient du dehors. Dans les deux cas de figure, ce qui ressort est l’idée que ces vécus représentent une configuration où ils sont dans une incapacité d’exercer un contrôle suffisant sur la situation : l’environnement n’a pas pu juguler leur existence et leur bien être. Bien que cela soit rarement décrit par eux, nous pouvons imaginer que pour beaucoup, leur vécu est celui d’une dispersion. Le terme de morcellement renverrait trop directement au modèle « classique » de la psychose sans tenir compte de la spécificité de la clinique de l’errance dans laquelle l’espace joue un rôle particulier en contribuant aux assises du sujet.
L’image de « dilution » de ces personnes dans l’espace public est également parlante car la notion de dilution se retrouve dans l’idée de la place qu’ils occupent dans la cité. La vision de ces SEU dans la cité dérange, certes, mais en général ces personnes ne dérangent pas suffisamment l’ordre public pour faire de grandes vagues, bien que l’on déclenche des Plans Froids Renforcés par temps de grand froid. Nous ne pouvons pas dire que ces personnes soient invisibles, mais on en viendrait presque à penser qu’une ville où il ne figurerait pas un nombre minime de SEU, cela constituerait un fait étonnant.
La fonction de contenance
Fairbairn (1889-1964) en tant que théoricien de la relation d’objet (1951) a largement contribué au débat et la compréhension concernant des processus internes et externes. Il élabora une position originale en considérant que les objets externes sont transformés par les processus inconscients. Son travail clinique dans le champ de la schizophrénie et de la phobie concerne un champ où cette confusion entre monde interne et externe menace le sujet et sa relation à l’environnement. Il participa ainsi à défendre la doctrine du self qu’il contribua à développer aux Etats-Unis.
Pour E. Bick (1968), le concept d'un espace à l'intérieur du self n’est uniquement possible que si les fonctions contenantes sont introjectées. L’introjection, qui est la construction d’un objet dans un espace intérieur, est perturbée si ces fonctions contenantes sont carencées ou absentes. L’introjection du lien à l’objet externe fonde l’introjection de la fonction contenante. L’objet contenant, s’il peut être internalisé, peut contribuer à fonder une frontière, tel une « peau psychique », qui maintient rassemblé le sentiment de soi et ainsi un sentiment de continuité (A. Ciccone, 2001, p.268). En cas de carence d’introjection de la fonction contenante, il peut en résulter un fonctionnement en identification projective sans relâche.
Ce qui est difficile à appréhender, c’est comment ce cercle vicieux , cycle fondé sur la carence (carence de contenance - carence d’introjection – carence de contenance de soi - identification projective) peut être interrompu ou transformé. Dans la prise en charge des sujets souffrants de carences précoces, dans quelle mesure peuvent-ils bénéficier encore d’une fonction de contenance dans la mesure où leur capacité d’introjection a été endommagée ?
La fonction de contenance se construit en appui sur d’autres fonctions et d’autres termes tels que la relation contenant/contenu mais aussi sur celle de la continuité. Sur le plan de l’espace, un espace intermédiaire trop important (mise à disposition de ces sujets) représenterait une faille qui empêcherait de relier entre eux ces différents espaces.
Concernant le contenu, il peut s’agir d’objets ou de contenus de pensée qui peuvent être des représentations en image-souvenir sensorielle des objets. Les contenus de pensée sont constitués de représentations sensorielles, motrices, verbales, émotionnelles (B. Gibello, 1998).
Avec la métaphore du Moi-peau, D. Anzieu (1974) propose l’idée d'un moi corporel à la surface du corps. Le Moi-peau désigne « une figuration dont le Moi de l'enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi à partir de son expérience de la surface du corps » (D. Anzieu, 1974, p. 207).
Puis la conceptualisation d’enveloppes psychiques (D. Anzieu, 1987 et D. Houzel, 2000), permet d’explorer les qualités des surfaces tant internes qu’externes, ainsi que les phénomènes d’interface. Ce que Anzieu désigne comme Moi-peau (1974, 1985) comporte trois principales fonctions : « la fonction d’enveloppe contenante et unifiante de Soi », une fonction d’interface, ou de « barrière protectrice du psychisme », et une fonction de « filtre des échanges et d’inscription des premières traces » (D. Anzieu, 1985, p. 97) laissées par l’établissement précoce des relations entre le sujet et autrui. C'est essentiellement par la peau que passe la communication entre les soins maternels et l’enfant. Le Moi-peau se constitue dans le plaisir pris dans les interactions primaires.
Dans la population étudiée, cette distinction est souvent confuse et se manifeste dans leurs relations avec autrui mais également au travers d'une confusion des limites corporelles. Plusieurs auteurs abordent cette question.
J. Mac Dougall (1989) montre comment dans les désordres psychosomatiques, sur le plan psychique des sujets, il existe une continuité du corps à l'environnement.
Plus spécifiquement centrée sur l’errance, V. Colin (Rhizome n° 16, juillet 2004), évoque cette confusion entre espace corporel et l’environnement : « La spatialité du sujet sans domicile se prolonge dans le monde extérieur selon son espace imaginaire par le média du corps propre ».
Dans ses recherches sur les pathologies de l’actuel, B. Duez (2000) suggère l’idée d’une continuité ou d’une actualisation face à la menace de l’intrusion. Il s’agit de situations où le corps est mis en scène, touché par les désordres psychosomatiques et souvent par l’accident corporel.
Si la fonction de contenance avec des barrières de délimitation entre soi et l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur, entre le corps propre et l’environnement, sont nécessaires, des liens de continuité entre chacun et l’ensemble permettent au sujet de trouver ses repères identificatoires, d’avoir le sentiment d’appartenir et d’avoir des racines dans la communauté humaine.
C'est d'abord la question de la filiation et de l'inscription dans une génération : l'adhésion au pacte générationnel qui permet de reprendre la question de l'enveloppe puisque l’éprouvé psyché-soma d’être entouré se perçoit à partir d’un « entourage »familial et groupal.
Précisément, la métaphore de l’enveloppe, en appui sur les différentes fonctions du Moi-peau, montre comment l'enveloppe psychique est constituée. Il est essentiel de considérer que cette enveloppe se constitue en appui sur différentes enveloppes concentriques. Je mettrais en avant l'idée de l'espace culturel comme d'une enveloppe quand nous considérons, comme le fait B. Gibello (1988), que le contenant peut être également culturel. Mais ces enveloppes concentriques peuvent aussi être de nature, groupale, sociétale, institutionnelle, familiale, amicale.
Ces diverses enveloppes peuvent se renforcer mutuellement mais aussi prendre le relais l'une de l'autre. En effet, c’est le cas dans une clinique de déliaison où lorsque l'une des enveloppes est attaquée ou défaillante, ce système de relais permettrait d’éviter malgré tout, un effondrement massif et total du sujet. Un appui sur d’autres liens est important pour ces sujets qui semblent souffrir, comme P. Aulagnier (1975) le précise, de la rupture du contrat narcissique, parfois précipitée par la réalité environnante. Cet auteur souligne les effets perturbateurs que la réalité externe peut exercer sur l’équilibre général du sujet par rebond ou par ricochet. Elle accorde, en effet, un poids égal aux événements touchant le corps, à ceux qui se sont effectivement déroulés dans la vie de couple pendant l’enfance du sujet, et aussi au discours tenu à l’enfant et aux injonctions qui lui ont été faites.
Selon la notion de contrat narcissique de P. Aulagnier, en échange de la renonciation à une satisfaction pulsionnelle immédiate, le groupe donne au sujet une place réelle, imaginaire et symbolique. Les effets du contrat sont repartis dans l’ordre de la filiation, mais il régit également les liens de parité entre les membres d’un groupe sur la base d'une appartenance commune. N’oublions pas cependant qu’il s’agit, pour le sujet dans son désir d’appartenance, de s’inscrire dans l’ordre de la transmission et donc également de laisser une trace de son passage.
On peut se demander quelles sont les conséquences pour cette population qui s’extrait du groupe d’appartenance primaire et du fond du groupe culturel ? Est-ce que les traces que laissent ces personnes de leur appartenance à un nouveau groupe (« copains de galère », « bande d’exclus »), sont à considérer comme des tentatives de traces d’une nouvelle dynamique groupale ?
Tout lien s’organise, non seulement à partir de ce qui est transmissible, mais également à partir du négatif. Il est intéressant de constater la démarche entreprise par la cité pour cacher les traces laissées par ces sujets non seulement dans un but d’hygiène mais dans un déni ou tentative d’« ignorer » leur souffrance, tant interne que externe. Le « pacte dénégatif » développé par R. Kaës (1989) est ce qui se transmet malgré toute démarche, consciente ou inconsciente, entreprise pour tenir secret les fondements sombres du groupe. Le pacte dénégatif est la contreface du contrat narcissique. Le contrat narcissique fonde le cadre du processus identificatoire et sa rupture s’accompagne de crise identitaire.
La question de l’environnement, avec l’enveloppe sociale et familiale, est indissociable de l’enveloppe psychique. D’autres contenants tel que l’habitat participe au travail distinction-représentation des espaces (dedans /dehors, contenant/contenu). Le logement peut occuper la fonction d’ « enveloppe d’habitation » séparant vie privée et vie publique. Pour ces sujets sans-abri, l’habitat ne remplit pas ce travail de distinction. Leur rapport à l'habitat est représentatif de ce qui se passe au plan interne où ils ne semblent pas pouvoir contenir les choses ni d’avoir de prise sur les choses. On a l’impression avec ces sujets que tout se perd…..Ils n’arrivent pas à s’adosser sur la fonction de l’étayage multiple du psychisme. Multi-fonction selon R. Kaës (1979a) permettant au sujet :
Comment donc concevoir une manière d’éviter que tout s’effondre ou « file » pour ces sujets ? Quelle articulation et quelles répercussions réciproques entre fonction contenante et processus de symbolisation ? Une fragilisation de la barrière délimitant le monde interne et externe, dimension privée et sphère publique, soi et l’autre pourrait entraîner une difficulté au niveau de la fonction contenant, affectant ainsi la fonction symbolisante et de même contribuer au défaut de représentation. La place du sujet dans le groupe est également une des manières par laquelle le sujet peut apprendre ce travail de discrimination. Le travail entre fonction symbolisante et fonction contenant se fait en appui l’un sur l’autre. Les enveloppes, avec leur différentes fonctions (qu'elles soit corporelles, psychiques, culturelles, groupales…), ne peuvent avoir une fonction contenante que si elle est symbolisée, que si sa fonction est introjectée, c'est-à-dire que si la fonction de symbolisation a pu s'exercer.
La mise en jeu de l’imaginaire va favoriser ce processus de symbolisation. L’imaginaire joue un rôle important dans l’intégration dans la psyché des contenus de l’expérience et C. Vacheret (1984, p. 81 et 2000, p. 173) développe différents aspects du lien entre contenance et symbolisation en insistant sur les fonctions qui permettent l’intégration de contenus dans la psyché :
L’imaginaire supporte et contient les effets du clivage, les écarts des significations et la division du sujet. Le groupe et les objets médiateurs sont des moyens privilégiés pour mobiliser des capacités de jeu symboligènes ou du moins pour assouplir le préconscient. Les SEU témoignent, pour beaucoup, d’une pauvreté dans leur capacité à construire un fil narratif et associatif. Leurs affects ne sont pas accessibles à la représentation car le clivage les protège de la pensée et de la menace d’effondrement. Notre matériel clinique montre que beaucoup de ces sujets ont vécu une faillite de l’environnement primaire et des situations de ruptures répétées. (La crainte de) l’effondrement (Winnicott, 1975) qui est tant redoutée concerne une expérience qui a déjà eu lieu. Un système de défenses s’est organisé chez le sujet pour éviter d’en faire encore l’expérience. Ces défenses elles-mêmes sont devenues inefficaces, ce qui constitue également la vulnérabilité du sujet : cela engendre de la crainte, car il ne se sent plus protégé par ses défenses.
L’objet médiateur, dans un dispositif, peut trouver sa place par le fait qu’il réactive les expériences sensorielles, sans toutefois aborder directement de face l’affect traumatogène. Lorsque l’objet est médiateur, c’est parce que il fonctionne de façon transitionnelle. Le phénomène transitionnel et l'espace transitionnel se trouvent selon Winnicott (1951) dans la culture et sont issus de la culture. Ils ne se situent ni dedans, ni dehors. Les médiations et pensées en image sont également de cette même nature. Elles supportent que le sujet « erre » entre le dedans et le dehors.
Nous allons essayer de montrer ci-après comment l’image, par le biais d’objet médiateur et intermédiaire, peut contribuer à favoriser une contenance imaginaire.
Les processus psychiques qui sous-tendent le travail de symbolisation utilisent la fonction de contenance des contenus psychiques. La « pensée en image » dont parle Freud (1923) dans Le moi et le ça comprend des images auditives, des images acoustiques aussi bien que des images visuelles et, pourquoi pas, des images olfactives. L’expérience sensorielle participe à faire éprouver et à intégrer le monde extérieur. On réserve le terme de symbolisation lorsqu’il y a lien entre l’image et autre chose. Ici on serait tenté de parler d’un mode de présymbolisation qui passe par le registre sensoriel, symbolisation en deçà ou antérieure à la symbolisation primaire qui se servirait de ces « réminiscences auditives », de ces « images verbales et visuelles », pour donner figuration aux éléments sensoriels.
Le contenant psychique est en effet important pour déterminer si ces dimensions sensorielles relèvent du rêve, de l’hallucination sensorielle ou bien si ces éléments sont intégrés dans la psyché possédant des frontières qui différencient ces éléments entre la réalité interne et la réalité externe. C’est, en effet, ce contenant psychique à mon avis, qui, chez ces personnes est construit de façon différente : ce qui fait dire que par sa différence, c’est ce contenant psychique qui comporte des défaillances dans la pathologie de l’errance. Ces personnes mettent en scène des situations fortement chargées en potentiel d’images sensorielles. Sans que les choses soient « pensées » ou réfléchies par eux, on peut dire qu’elles « font sensation » ; ce qui, dans le contact avec eux, donne à ressentir ou à penser à autrui. L’indiscrimination entre la dimension sensorielle et la pensée entretient un état archaïque. Dans le développement normal, un état archaïque existe et progressivement un sens émerge par ce que P. Aulagnier qualifie d'activité pictogrammatique ou originaire. Dans cette perspective pour l’infans qui n’a pas encore recours aux contenants symboliques, c’est la parole de la mère qui va donner sens à ses éprouvés corporels, traduisant ses sensations, perceptions et ses images internes.
La manière dont ces sujets se sentent « inclus » ou « exclus », centre de cette réflexion, va mobiliser des mécanismes psychiques primaires (introjection, incorporation, projection…) et des mécanismes de défenses. Toutefois, si l’individu à tendance à jeter dehors tout le mauvais de soi, M. Foucault (1972) montre que chaque société a besoin, elle aussi, d’enfermer ailleurs ce qui la dérange et d’incorporer le « bon » dedans.
Mon propos concernant la fragilité des limites internes et externes de ces sujets se centre à présent sur le matériel clinique pour illustrer comment les influences réciproques se jouent constamment entre l’organisation de leur psyché et leur localité territoriale.
Romain Rolland, homme de lettres, qui voit dans le « sentiment océanique » la source de la religiosité, (Freud 1929, in préface ed. 2000, p. VI). Il semble exister entre les esprits de Freud et de R. Rolland un flou et un brouillage concernant l’héritage de ce terme. R. Rolland, pour réclamer sa dîme quant à l’origine de ce terme, s’exclame en 1930 : « c’est à moi que Malaise dans la civilisation doit sa naissance. (…) celui qui a parlé du « sentiment océanique », c’est moi »(note in ed. 2000, p.2 et 3).