1.4.1. Un brouillage des frontières entre la Dame et la licorne

Dans le contre-transfert, le recours au mythe et l’évocation d’une figure d’ambiguïté est également une manière d’approcher la figure du narcissisme qui est à l’œuvre dans ce mythe. Certaines barrières ont pu être mises également pour les accueillants, leur permettant de mettre aussi une distance par le biais des images.

A plusieurs niveaux, quelque chose se confond entre la Dame et la licorne. Le symbole de la licorne a un aspect à la fois féminin et masculin. La licorne trempe sa corne dans l'eau contaminée. Les autres animaux viennent boire après elle. Les figures de l’ambiguïté et de la contamination ressortent et quelque chose semble se transmettre entre l’une et l’autre par contiguïté sur un mode de commutation. Comme si ce brouillage des frontières entre genres sexués pouvait être contaminant ou faire contagion. Le contact avec les SEU fait souvent craindre la contamination, aussi bien en ce qui concerne le statut socio-économique que les infections (tuberculose, galle, poux). Cette contamination, pourrait-elle également représenter une crainte liée au domaine psycho-sexuel et au génital ? La possibilité pour ces personnes d’avoir une vie intime, compte tenu de l’aspect public de leurs conditions de vie, est également quelque chose d’assez impensable. En effet, nous avons souvent évoqué leur fonctionnement dans « l’immédiateté », fondé sur le besoin, et leurs rapports « vitaux » en lien avec l’autoconservation. Elko et Jane forment un couple hétérosexuel, mais très souvent les SEU vivent entre hommes ou en couples d'hommes.

Une illusion résiduelle de séduction pour investir le cadre

Cette vignette se passe au Lieu A, lieu investi par Elko. Cet investissement est possible dans la mesure où cet endroit renferme pour lui suffisamment d’éléments familiers et ressemblants. Ainsi, c’est la capacité des soignants à laisser perdurer chez lui une illusion suffisante de manipulation qui détermine sa fréquentation du lieu. Ce constat conduit à la notion d’un nécessaire part de séduction dans la relation entre soigné et sujet en question – du moins pour investir le cadre.

L’axe somatique semble représenter un moyen d’accéder à un début de travail psychique. Ainsi, pour Elko, la dépendance à l’alcool et les suites de la toxicomanie se présentent-elles comme des “ accroches ” permettant d’entrer dans un lieu de soin. Cependant, en dehors des mesures d’urgence, aucune démarche n’est poursuivie. L’espace d’accueil et le lien d’accompagnement, dont la mission reste globale, ressemblent plus à une sorte de sas, ou d’intermédiaire, qui aiderait à ouvrir le champ intersubjectif, puis le champ intra-muros vers un travail psychique plus précis, mais en dehors de ce lieu. Nous sommes confrontés au paradoxe suivant : nous reconnaissons, pour le sujet comme pour le soignant, l’existence d’une distance et d’un écart nécessaires pour permettre de faire la distinction entre le public et le privé. Néanmoins, il demeure impossible à ces sujets de s’insérer dans une structure trop nettement définie.

Dans un premier temps, le dessin et les échanges groupaux offrent à Elko une revalorisation narcissique. Un jeu de relations différenciées aménage un cadre où sa subjectivité peut se déployer. Sa recherche d’un double, ou de l’illusion d’un double, auquel s’identifier, procède d’une démarche d’emprise. Les soignants le “ trahissent ” en mettant des barrières, en même temps, il se sent protégé par ces barrières.

Dans un deuxième temps, la vente de journaux ou d’autres objets, activité qu’il apprécie pour le contact, constituerait, pour Elko, une sorte de « troc » socialement acceptable par lequel il exercerait une maîtrise et une séduction. Ses capacités artistiques posséderaient également cette fonction.

Dans un troisième temps, l’introduction d’un tiers référent serait bénéfique. La représentation des rôles et des positions des soignants introduit Elko dans une possible réaffiliation. Ce travail qui s'opère à partir d’éléments transféro-contretransférentiels, permettrait d’envisager de passer le relais. Un travail thérapeutique, en appui sur des médiations et l’investissement d’un autre lieu plus cadré, serait, à ce titre, indiqué.