2.2. Analyse dynamique et topologiquede la problématique spatiale de Dan :

Je propose, au lecteur de suivre les déplacements de Dan à l’aide d’une méthode qui est composée d’une analyse dynamique et topologique des déplacements du sujet et d’un schéma. Cette méthode permet de suivre les des positions de Dan lors d’une réunion dans un lieu d’accueil et d’observer sa façon de s’approprier :

L’analyse de ces éléments se recoupe avec la façon dont Dan s’approprie :

Dans le lieu d'accueil le comportement « en collage » dans sa relation avec l’autre se recoupe avec sa façon d'utiliser les institutions. La méthode d’observation met en évidence cette problématique spatiale dans le va-et-vient incessant de Dan lors des réunions. Cette stratégie de «collage» lui permet toutefois de rester au contact de l'objet tout en évitant la frustration sans passer par la perte. La mainmise virtuelle, semble-t-il, ne peut se passer du réel, du « palpable », comme sa manière de rester fixé à la fenêtre, « voyeuriste », ainsi que ses remarques faites du dehors vers l’intérieur. Etant à la fois dedans et dehors, la position « en surface » est une position permettant d’être et de ne pas être là. Position qui maîtrise l’absence et la disparition tout comme la tasse laissée et retrouvée chaque jour. La dimension transitionnelle d’accueil prend en compte ces formes de jeu de cache-cache : phénomènes qui interviennent dans l’établissement pour l’enfant de l’extériorité de l’objet qui sont décrits par S. Freud avec le jeu de la bobine. L’aire intermédiaire fonde un espace potentiel de jeu et d’expérience. De même que l’objet transitionnel est et n’est pas la mère, ici, l’espace de la réunion est et n’est pas la réalité externe. Pourtant les marginaux s’expérimentent à jouer « pour de vrai » des réalités qui ne tiennent qu’à « ici et maintenant » comme « on se la joue » parfois également à l’extérieur du lieu. Certains sujets, les plus désocialisés sont en deçà de la capacité à jouer ou l’ont perdue.

Au regard du schéma en lien aveccette situation clinique on constate la difficulté pour Dan de trouver une place dans plusieurs scènes. Je m’appuie sur ces schémas pour démontrer comment ces scènes s’étayent les unes sur les autres. Il s’agit pour Dan de sa place dans :

  • la scène de la filiation avec ses ramifications familiales/ groupales / culturelles
  • la scène à l’intérieur du lieu avec ses dimensions spatio-temporelles
  • la scène dans un portrait où trouver son image.

Les déplacements de Dan décrits ici au Lieu A sont répertoriés sur le schéma par des chiffres correspondants.

Dans le Lieu A les tables sont repoussées et une quinzaine de personnes forment un cercle. Cette réunion concerne le dépassement du budget. Il s’agit d’entrevoir des solutions permettant de diminuer les dépenses.

On va voir que la problématique de « collage » et de dépendance de Dan est figurée par son collage à la limite d’un espace institutionnel qui représente le lieu potentiel de contenance.

En référence au concept du Moi-peau (D. Anzieu 1985, p. 32) le double feuillet ( …) est une interface qui devient une enveloppe psychique contenante des contenus psychiques. Ce schéma montre l’utilisation de l’espace du groupe et du lieu. Tout deux comportent une « surface » avec un dedans et en dehors. La surface, celui du groupe et celui du Lieu A peut métaphoriser cette interface développée par Anzieu. Dan utilise comme fonction contenante les limites du groupe et les limites de l’institution mais également ses portes et ses fenêtres.

1. DAN est assis dans un coin vers la fenêtre. Il écoute (20’).

Au bout d’un moment, il se lève. Il s’en va.

2. En se levant, il interrompt tout le groupe en disant « il est onze heures, c’est l’heure non - fumeur ». Il sort dehors, mais piétine entre deux.

Reste à la limite mais le contenant institutionnel est insuffisant pour le contenir

2 à 3. DAN traverse, au centre du cercle formé par le groupe, pour chercher du café.

Il attaque les règles du groupe en traversant en plein milieu.

Là apparaît l’hypothèse de W.R. Bion (1961, Recherche sur les petits groupes ) à propos de l’attaque /fuite qui correspond à l’angoisse de perte de l’identité . Dedans il se sent menacé et il fuit, dehors il est exclu, alors, il « colle ». Topologiquement, il intruse la limite du groupe, ayant juste avant rappelé au groupe la loi sur les horaires fumeurs !

3 à 4. Il retraverse la pièce pour aller dehors avec son café

Il fuit le groupe mais reste proche de la surface institutionnelle. Rappelons pour ces sujets la confusion des espaces « dedans » et « dehors » par rapport à l’habitation. Ce flou des frontières peut s’appliquer aussi aux limites de ce lieu institutionnel.

4. Reste en retrait de la porte mais peut voir le groupe.

5. Il se tient dans l’encadrement de la fenêtre en regardant dedans et en fumant.

6. Il s’en va de la fenêtre. Il disparaît pendant (20’). Où va t il ?

La limite externe ne lui convient pas. Il ne peut pas raccrocher avec le groupe. Il s’exclut.

7. Revient mais reste encore à la limite.

8. DAN revient à la fenêtre et regarde en coin vers l’intérieur pendant 20 minutes.

Cette position de maîtrise scopique rappelle la position voyeuriste qui est liée à la pulsion d’emprise et à la curiosité ( Freud , 1905b, Trois essais sur la théorie sexuelle ).

8. DAN, toujours dehors, demande à quelqu’un à l’intérieur de lui passer du thé dehors.

Il intruse la surface institutionnel par le brèche (de la fenêtre).

9.DAN va s’asseoir, loin de la fenêtre dehors. Il ne voit pas ni n’entend ce qui se dit dedans.

Il fuit le groupe de nouveau et s’exclut.

Pendant ce temps, le groupe à l’intérieur vote sur une décision. DAN veut voter.

10. Quand il comprend qu’on a voté en son absence, il proteste bruyamment. « Ce n’est pas juste, j’étais dehors » dit- il. L’éducateur lui répond : « Si tu participes, tu es à l’intérieur. Ceux qui sont dehors sont dehors ».

Depuis la fenêtre, il attaque l’autorité symbolique.

Quand il apprend que ses « frères » ont voté sans lui, sa réaction rappelle l’enjeu du complexe fraternel selon R. Kaës (1993,Revue freudinne, pp. 5-42) . Il s’agit de la place du sujet par rapport au désir du parent. Le complexe travaille l’ambivalence du frère ou de la sœur. Il représente ses pairs comme ses « frères dans la galère » et représente les accueillants comme des imagos parentales.

SYNTHESE :

C’est à la surface que Dan ramène les échanges, la vie, la rencontre et l’affect, ce qui nous autorise à penser que malgré le flou du cadre, il y a quand même certaines choses qui contiennent à l’intérieur du lieu. Sans cela, Dan se sentirait perdu de vue par autrui. Dans ce registre, sa photo, son autoportrait mais aussi la fonction encadrante de groupe et des accueillants ont certainement joué le rôle de le faire exister aux yeux d’autrui ou du moins de le faire éprouver ce sentiment