Dan n’est pas vraiment « SDF », puisqu’il possède un logement stable. Il ne se drogue pas, et ne boit plus. Il ne dépend pas totalement du système social. Cependant, il demeure dans un « entre-deux » social. Je pense cependant qu’il n’a pu élaborer la question de la perte et s’inscrit dans une problématique de dépendance.
Sa manière de banaliser ses années à la DDASS dès l’age de 8 ans recouvre sans doute le déni d’un trauma lié à l’arrachement à sa mère et au milieu familial. Cependant il l’embellit, un peu comme s’il s’agissait d’une expérience de plusieurs années dans un club de vacances, où, en famille, ils faisaient gratuitement des activités au frais de la société. Dans sa position infantile avec nous, ne rejoue-t-il pas sa relation et sa position avec l’institution (DDASS) ?
« Le vol » = L’idée d’une injustice subie
Si nous nous attachons à l’idée de « vol » lorsque Dan dit qu’il en veut aux arabes de lui avoir « volé un bout de quéquete », la série suivante peut être envisagée : Circoncision = fantasme de castration (vécu sur la mode de la privation) = réponse par le vol. En effet, avec le rituel de circoncision, au niveau imaginaire ou fantasmatique, l’enfant a été privé de quelque chose par la mère et ainsi le vol serait la réponse au fantasme de castration. Dans le cas précis de Dan, il ne s’est pas sentit protégé par sa mère contre cette agression. L’absence de protection équivaut à l’abandon, à la privation de quelque chose de vital, ou au sentiment d’être lâché. Dans la tendance antisociale, Winnicott envisage le vol comme une réponse à une injustice. En ce qui concerne sa filiation, « les arabes » que Dan rejette l’ont injustement privé et blessé (dans le réel). L’acte de circoncision n’a pas le sens symbolique qu’il pourrait revêtir s’il s’était situé au sein d’une transmission familiale et culturelle. L'acte qui ne semble pas avoir été entouré de paroles est ici introduit comme un arbitraire absolu. Ce vécu infantile d’injustice se répercute dans ce que la société et l’institution (mère) lui « doivent » dans sa vie d’adulte. La manière dont Dan utilise à ses fins les institutions et la société semble être pour lui une façon de prendre (sans vraiment voler) en indiquant qu’il existe une dette à son égard. Il tente, malgré tout, de reprendre la question du père.
On peut également envisager les effets psychiques de la circoncision de Dan sous un autre angle : la circoncision = fantasme d’amputation = réponse par meurtre de l’imago paternelle ?
Dan n’a aucun souvenir de son père. La transmission de la représentation de la violence du père lui est cependant parvenue et a laissé une trace. C’est comme si le traumatisme de la circoncision, faite en pays étranger par la famille de son père, avait réactivé des traces en leur donnant corps. Dan les associe à son père. De plus, on voit qu’en « démolissant » le portrait de son père, Dan ressemble au portait qu’il trace de son père. Il s’identifie comme fils d’un père qui « pue (sale bougnoul) ».Le père ne travaillait pas : Dan non plus. Le père faisait plein d’enfants à sa mère : pour Dan, c’est la violence du père qui féconde la mère. Il passe par une « théorisation » de ses origines afin de comprendre qui il est et d’où il vient. Il déambule dans l’espace de la même manière qu’il a été conçu. C’est presque par une incidence fortuite qu’il est vivant, c’est à dire par hasard, mais avec, en arrière fond, la scène de la violence. C’est comme si deux scènes se superposent : celle du père « fou- violent » qui fait des bébés, celle de l’homme qui boit et qui féconde Comment devenir homme ? Comment laisser habiter son corps par l’imagod’un homme ? La difficulté identitaire pour Dan de se situer dans une filiation se recoupe avec celle de prendre racine dans le terreau de la scène sociale et d’habiter cette scène. EnFrance, le devenir des garçons, comme lui et ses frères, c’est d’être sacrifié aux institutions (éloigné, volé à la mère). En Algérie le devenir des garçons, « comme tous les arabes », c’est la circoncision, comme vécu fantasmatique d’amputation, qui figure une scène où le meurtre est agi.
Concernant la stratégie « collée » dans la distance à l’autre
Dan a du mal à lâcher l’objet et à se situer dans une distance adaptée à l’autre. Il passe par le tâtonnement pour rechercher, sonder les « qualités » de l’objet. En tant qu’accueillant nous ressentons les personnes comme Dan comme manipulatrices20. Cependant l’activité de tracer son autoportrait, de passer et repasser ses contours, est une manière de se définir lui-même, mais également, il se définit en lien avec le dispositif, le cadre, les accueillants et le groupe. La pulsion d’emprise, nous dit J.Bergeret (1984b, p.193), est déployée pour sonder « le statut d’imprécision portant sur une sorte d’absence d’établissement complet de l’identité primaire de cet objet ».
Nous pouvons mettre ce que nous avons tendance à interpréter comme de la « manipulation » en lien avec les propos de Winnicott concernant l’enfant qui se saisit de l’expérience culturelle par le jeu : « Nous voyons donc que ce n’est pas la satisfaction pulsionnelle qui permet à un bébé de commencer à être, de commencer à sentir que la vie est réelle et à trouver qu’elle vaut la peine d’être vécue. En réalité, les gratifications instinctuelles sont d’abord fonctions partielles, puis elles deviennent séductions, à moins de reposer sur l’existence dans l’individu d’une capacité solide pour une expérience totale et pour une expérience dans le champ des phénomènes transitionnels. C’est le soi qui doit précéder l’utilisation de l’instinct par le soi » (1971, p. 137).