2.3. A la fenêtre : position de jeu entre espace interne et externe

Winnicott met l’accent sur l’apprentissage par l’expérience et l’expérimentation. Ce qui pose problème, c’est que l’endroit où l’expérimentation a lieu n’est pas toujours à même de tolérer ce type de tâtonnement.

Dan n’arrive pas à suspendre sa motricité, à rester dans le lieu et à s’inscrire dans le groupe. Comme le montre les schémas, il ne s’en va pas, mais reste à la périphérie . Comme si à l’extérieur il était trop éloigné, et à l’intérieur, il ne trouvait pas sa place. Cependant, Dan trouve une place à la fenêtre, à l’interface d’où il peut observer autrui. La photo fait également appel à la dimension visuelle, et il prend appui sur elle comme interface entre l’intérieur et l’extérieur. Ainsi, Dan se sert du contenant externe, via le lieu et le groupe, mais aussi via la photo, pour se donner un contenant interne. La photographie, son image sur la quelle il s’appuie, comporte une interface avec une contenance imaginaire (au sens contenant /contenu de W.R. Bion), différente du reflet en miroir qui porte davantage sur le réel. Le groupe et les accueillants lui reflètent aussi des choses et on pourrait évoquer le regard que l’autre porte sur son image comme ayant un effet de transformation tel que C. Bollas (1989) décrit l’objet transformationnel. Il désigne comme « objet transformationnel » l’expérience faite d’un objet et qui transforme le monde intérieur et extérieur du sujet. Il insiste sur le terme d’objet, bien qu’il s’agisse de la trace de la toute première relation objectale. Objet qui serait capable de tout résoudre, capable de transformer son malheur en bonheur.

La malléabilité de la fonction conteneur du lieu lui permet d’intégrer les présences, les absences, les ruptures, les retours, mais aussi les aspects trop collés ou trop « lourds » de ses comportements. En ce qui concerne la « disparition/apparition » de Dan, il est possible d’évoquer le jeu de coucou décrit par R. Roussillon (1995 c, p.191), dans lequel le nourrisson ou la mère se cache, puis se découvre les yeux. La réapparition est un moment de jubilation : expérience dans le jeu qui fonde le sentiment de continuité de soi. Continuité qui s’intériorise par les ruptures et coupures du rythme.

La problématique de distance à l’autre dans le fonctionnement psychique de Dan semble plus « logique » sous cet éclairage. Par la photo et en dessinant son autoportrait, Dan reprend l’objet en appui sur le groupe, il en retrace les contours. Il fait des traits qu’il efface et gomme ; et ainsi il fait des traces qui débordent de sa trace initiale, mais qui restent. Ce qui semble intéressant ici c’est que l’activité autour de son image est également associée à un éprouvé en présence des autres. Rappelons avec P. Aulagnier (1975, p. 19) que les choses doivent d’abord passer par le pictogramme avant d’être représentées par la psyché. « L’originaire (…) qui utilise le pictogramme dans l’activité de représentation qui ignore l’image du mot et a comme matériau l’image de la chose corporelle ». B. Duez rappelle que « lorsque le lien pictogrammatique fonctionne, l’image associée devient le cadre de l’éprouvé » (2000, p.72). Le lien entre l’image et l’éprouvé se fonde en présence de l’autre, ce qui fait du pictogramme un mode de figuration en présence de l’autre. C’est sur ce lien de constance que la permanence psychique de l’objet peut se construire.

La position « en surface » est une position intermédiaire. L’intermédiaire, nous dit R. Kaës (1979c, p.13),est une médiation entre les éléments discontinus, un rapprochement dans le maintenu-séparé.

Le cas de Dan illustre comment notre approche du sujet, par le biais du lieu, du groupe et des objets intermédiaires contribue à un travail de réappropriation dans sa problématique identitaire. Le travail sur son image a participé à ce jeu entre l’image interne et externe : à la fois, objet et jeu qu’il restaure et retouche, et qui fait écho à sa façon de nous toucher dans le collage. Sans doute est-il en quête d’un lieu où déposer cette image inachevée ? Lieu où on tolère le temps de l’attente et de l’incomplétude et qui participe à lier l’espace du dedans et l’espace du dehors. Autrement dit,dans le lien d’accompagnement « la capacité réceptive de l’objet », avec sa fonction alpha et avec sa réflexivité psychique, peut accueillir ce « collage » permettant à Dan d’expérimenter qu’il peut être accueilli, senti, vu - ce qui participe à aménager un vécu de continuité d’exister qui est souvent illusion perdue ou jamais trouvé pour ces sujets.

La situation de Dan se résume ainsi : au bout d’un an, le travail est en suspens mais il a des projets. Bien qu’il en parle, nous ne les voyons pas se matérialiser. Il devient de plus en plus critique à l’égard de la « crédibilité » de notre démarche, ainsi que de l’utilité d’un lieu comme celui-ci. Quasiment tous les jours il menace de nous « quitter », attaquant les règles de base, d’ailleurs mises en place avec son accord. Malgré ses remarques qui tentent de niveler et d’annuler notre action et notre relation. « Ca devient n’importe quoi ici, vous êtes comme les autres services d’accueil » nous dit-t-il. Il continue à venir, mais sur des temps plus courts.

Nous sommes amenés à penser ce retournement et cette distanciation comme une nécessaire « déprise » de l’attachement intense qu’il nous a manifesté dans un premier temps. Ceci lui permet peut-être de tester notre capacité à le laisser exister et à perdurer dans notre estime malgré ses sentiments ambivalents à notre égard. L’absence de réalisation de projets met également à l’épreuve notre acceptation pleine et entière de son choix d’orientation ainsi que de la gestion de sa vie. De notre côté, nous lui signifions par notre attitude que notre soutien n’est pas conditionné à sa réussite sociale. De ce fait, il est davantage confronté à sa liberté et son pouvoir sur lui-même.