3.2.1. L’inscription corporelle : Se saisir du corps étranger à l’intérieur du corps propre

Qu’est ce qu’on peut repérer concernant la surface du corps  ?

Pour Riri, le pôle somatique du dispositif était un terrain par lequel établir le contact. En effet, le réel du corps « justifie »souvent la demande d’entrer en relation. Il s’agissait de conseils sur la contraception, les M.S.T., la crainte d’hépatite.

Centrons-nous à présent surtout sur Démo et la manière dont il se sert de la surface et des traces extérieures de ce qui chez lui ne peut pas figurer au niveau interne.

L’inscription corporelle est une manière de se saisir du corps étranger à l’intérieur du corps propre. Le résultatcapte, maîtrise, voire provoque l’observateur extérieur.

Dans ce registre, on peut évoquer l’injection des substances toxiques, l’introduction des objets dans le corps ou à sa périphérie, tels que les anneaux, les épingles, les tatouages. En effet, ce côté « tape à l’œil » du « look » pénètre visuellement l’observateur.

Notons que ce corps étranger est introduit sur des zones qui sont des moyens de communication et d’échange avec l’extérieur, qui se situent entre l’intérieur et l’extérieur du corps. Souvent il s’agit du bord des orifices. Par exemple l’anneau sur la lèvre, la boucle au nez, le « piercing »de la langue. Le tatouage dans les couches sous-dermiques rend omniprésent, au vu et su de tous, un message pourtant intime. Comme si ce symbole externe sert à convoquer, à l’extérieur, l’absence de symbole interne.

Cet ensemble d’éléments semble indiquer une faille dans la relation à l’autre. Le sujet tente d’exhiber au-dehors ce qui fait défaut au-dedans. Une certaine possessivité s’exprime car il capte des traces extérieures de ce qui n’est pas intériorisé.

Demo attribue un aspect « magique » à sa relation avec Riri. Une angoisse liée à la disparition de l’objet amène Demo à nier ce qui peut se passer dans le temps de la séparation. Au niveau temporel, donc, la figuration de l’absence se trouve en difficulté. La non-inscription de l’absence dans le temps trouve son corrélat avec la problématique de l’absence de limites et de repères spatiaux. Cette absence de limites est également prévalente en ce qui concerne le rapport à la loi.

Des attaches et des limites floues, temporaires, fuyantes

Demo laisse des traces permettant à la justice de le retrouver. Il revendique sa liberté mais « s’arrange » pour être emprisonné. Nous retrouvons là ce qu’avance P. Jeammet (1980, p.495) à propos des délinquants qui « se servent de tel ou tel représentant de la société comme d’un Surmoi dont ils dénient le rôle, mais qu’ils provoquent répétitivement jusqu’à ce qu’ils obtiennent limitations, interdits et punitions ». Dans ce cas de figure, Demo pourrait inconsciemment utiliser, à des fins supplétives, la porte de sa prison. Celle-ci lui apporte, enfin, une contention et une barrière contre la perte d’un Moi en situation d’extrême fragilité. Rentrer en maison d’arrêt, bien que forcé de le faire, l’autorise à arrêter quelques temps son errance et à intégrer un lieu fixe. Ses nombreux actes de violences et fuites indiquent toute la force et la violence de ses pulsions. Si, en rencontrant les instances d’autorité, Demo se trouve confronté aux effets de la fonction surmoïque, cette fonction n’est pas pour autant intériorisée. La prison sert donc de Surmoi palliatif et transitoire. Pour autant que la rencontre avec l’objet externe en présence de la loi soit non destructive, une élaboration de ces échanges avec l’objet est possible. Ces échanges, nous l’entrevoyons, devront s’étayer dans l’imaginaire du sujet sur un objet substitutif oral. En ce qui concerne les sujets pour lesquels l’influence archaïque de l’avidité orale domine, nous émettons quelques réserves quant à la possibilité pour la prison de jouer ce rôle-là. Face à la véhémence et aux projections qui risquent de fuser à leur égard, les représentants de l’autorité seront-ils capables de se distancier des propos de Demo ? Avertis, ils pourront accueillir ces projections comme relevant d’une nécessité de sa part de se protéger de la rencontre douloureuse avec son propre monde interne. Dans le cas contraire, leurs récriminations seront vécues par Demo comme une rétorsion de la part de l’objet. Comme réponse permettant une « fonction symbolisante de l’objet » (R. Roussillon, 1997 pp. 405-406), c’est la qualité de la « réponse » de l’objet qui permet de sortir de la destructivité et de rétablir une relation avec le sujet. Cette « réponse », pour être utilisable, appropriable par le sujet, doit être avant tout créative et vivante.