3.3.1. La périphérie du corps : site de rencontre, de perte et d’intrusion

Concernant la souffrance masochiste, D. Anzieu précise que celle-ci « avant d’être secondement érotisée et de conduire au masochisme sexuel ou moral, s’explique d’abord par une alternance brusque, répétée et quasi traumatique, avant la marche, le stade du miroir et la parole, de surstimulation et de privation du contact physique, de frustration du désir d’attachement. Par rapport au Moi-peau, le narcissisme primaire correspond à l’expérience de la satisfaction; le masochisme primaire, à l’épreuve de la souffrance. On comprend également que les perversions sexuelles portent généralement sur les orifices, leurs produits, ou les organes pénétratifs, tandis que le masochisme, dès sa forme primaire, a pour siège la surface de la peau prise dans son ensemble et pour moyens les mauvais traitements infligés à celle-ci » (D. Anzieu, 1974, p. 207). Demo a fait une tentative de suicide en prison et nous pouvons mettre ces remarques en lien avec les cicatrices aux poignets de Demo, des inscriptions à la surface de son corps et d’autres traitements hétéro et auto-agressifs à son égard, déjà cités dans ce travail.

Se prémunir d’une protection en surface pour éviter la surprise ou l’abandon de la part de l’objet 

Pour Demo, son mode d’occupation de l’espace habité laisse penser qu’il a été soumis à des variations trop violentes ou bien confronté au vide, sans le secours nécessaire de la part de l’objet. Ces alternances brusques et chaotiques que j’ai répertoriées avec la spirale d’habitation, peuvent être envisagées comme la recherche d’un contenant externe. Cette mise en acte traumatique qui concerne la périphérie et les zones de passage entre ces espaces d’habitation, s’étaye sur son rapport à la surface du corps . La maîtrise de l’expérience traumatique pourrait relever de l’angoisse d’être : soit soumis à l’objet, soit abandonné par lui.Par le choix d’inscription sur la surface corporelle et aux orifices nous comprenons mieux alors la signification « d’occuper le terrain »en mettant en place des « gardes du corps » aux sites stratégiques contre l’expérience d’intrusion par l’objet ou bien contre sa perte.

La maison, l’habitation, mais également l’espace de l’institution représentent également la manière dont la personne habite et occupe son corps. De même, nous pouvons penser que la fuite et les passages répétés au niveau de ces sites d’entrée et de sortie indiquent le lieu où le sujet expose sa problématique, mais également quelque chose de son identité. L’apparence physique que ces sujets nous offrent, avec leurs traces et leurs objets sur le corps, n’est-elle pas un indice d’un fragment de lien mobilisable ou d’un site de rencontre possible avec eux ?

Ce type de conduite nous interroge concernant la surface qui est lieu d’investissement pour ces sujets. Cela suggère que pour ces sujets, on ne parle plus en termes d’une psychologie des profondeurs. Ici, il s’agirait plutôt d’une psychologie en surface selon des auteurs comme Laurence Kahn (2001).Ces sujets semblent faire venir le vide interne à la surface. En effet pour ne pas souffrir du vide et du manque d’ancrage interne, la surface est le lieu où se construit quelque chose qui peut faire lien et les contenir . N’est ce pas là, c'est-à-dire à la surface, qu’il faut saisir leur vie psychique  et à partir de là, créer le lien avec eux et créer aussi des dispositifs qui tiennent compte de cette donnée ?