1. Etre ou ne pas être clinicien : aux confins de l’espace professionnel

1.1. Un transport en commun : la situation

Cette vignette porte sur une situation dans le cadre de ma pratique professionnelle à la Veille sociale à Lyon dans le « Lieu B ».

Au contact des personnes rencontrées j'ai pu constater également que la place ou l’espace que la psychologue occupe au sein de sa pratique n'est pas évidente à localiser.

La question de « l’espace » concerne-t-il l'errance mais également l’espace ou « sa place » en tant que clinicienne.

L'errant urbain transforme un endroit habituellement public en terrain privé. En effet, par la manière dont il investit l'espace urbain, il crée une confusionentre ce qui relève du domaine intime et du domaine public. Prenons l'exemple de la personne qui utilise un square, une place ou l'entrée d'un immeuble pour dormir. Pendant la journée, ce même espace-«chambre à coucher» de l'errant, devient lieu de passage pour tous. Je pense que cette confusion entre espace privé/ public est due en partie au fonctionnement psychique des sujets en errance urbaine, pour qui les limites dehors / dedans, tout comme la différenciation Moi / autre, sont mal définies. Cette confusion existe sur le plan psychique, mais des répercussions se font également sentir, sur le plan concret, au-dehors. Ce «flou» des limites concerne aussi les limites du corps propre. Là, nous pouvons évoquer ceux qui négligent leur santé et semblent ignorer leur corps, posant aux limites de ce corps un défi pouvant aller jusqu'à l'autodestruction.

Il est impossible de nier les influences de l'espace du dehors (la rue et l’environnement) sur le fonctionnement psychique (l'espace interne) de ces personnes. Cependant l'expérience des travailleurs sociaux nous montre que malgré les efforts et les moyens mis en œuvre, les problèmes rencontrés ne relèvent pas seulement de moyens financiers et matériels. Je pense qu'il existe des troubles combinés qui comportent une dimension spécifiquement psychique, dimension dans laquelle l'espace joue un rôle.

La situation pratique suivante concerne la place et l'identité du psychologue et illustre une des formes de prise en charge de cette population. Nous verrons comment le «flou» des frontières entre espace public / privé parmi les errants affecte la définition des limites du cadre et de la pratique clinicienne.

Par le biais de ce dispositif, l'équipe VSM (Veille sociale Mobile), composée de 2 travailleurs sociaux et d'un chauffeur, est présente dans la rue avec la possibilité de transporter des personnes de 18h30 à 02 h, 7 jours sur 7. La VST (Veille Sociale Téléphonique) est tenue par une opératrice téléphonique qui assure, pendant ces horaires, la liaison entre les demandes d'hébergement, la VSM et les centres d'hébergement. Elle oriente les demandeurs vers des structures d'accueil et coordonne l'ensemble des intervenants et la gestion des places disponibles.

Une des missions principales de la VSM est de répondre aux «signalements». Cela veut dire partir en camion à la rencontre de personnes dont la présence dans la rue est signalée par des citoyens et leur proposer un accueil pour la nuit. L'équipe de ce dispositif mobile est également chargée de favoriser des rencontres fortuites avec les SEU et de leur proposer hébergement, transport, ou simplement un moment de dialogue. Dans ce contexte, je me trouvais dans le camion pour accompagner un groupe de SEU vers les hébergements d’urgence.