1.4. Pour que « ça roule », comment fournir un espace «contenant ?»

Je pense qu'une transformation de l'espace à l’intérieur du camion a été possible parce qu'il y a quelque chose de contenant dans cet espace. J’appui ce propos sur plusieurs auteurs.

Rappelons-nous l’idée de Freud (1920, Au-delà du principe du plaisir et1923, Le moi et le ça) d'un Moi qui fonctionnerait comme une enveloppe psychique s'étayant sur des sensations corporelles. Ceci serait le résultat de la projection de la surface du corps dans le psychisme.

Plus récemment Esther Bick (1968, L’expérience de la peau dans les relations d'objet précoces) introduit la notion de «peau psychique». Elle rejoint l'image avancée par Freud du fonctionnement psychique à partir du corps. A.Ciccone et M. Lhopital (1991, Naissance à la vie psychique), résument ces postulats.

D. Anzieu (1992) utilise la notion du Moi-peau (1974, 1985) comme une métaphore du Moi qui envelopperait le psychisme comme la peau enveloppe le corps.

Ce Moi-peau possède des fonctions. J'aimerais essayer d'établir un parallèle entre, d'un coté, la fonction de la peau et de ses ramifications psychiques et, de l'autre, la fonction psychique que ce dispositif VSM pourrait occuper dans ce groupe donné à un moment précis.

Souvenons-nous d'abord de quelques-unes des fonctions du Moi-peau :

  • barrière de séparation et interface entre le dehors et le dedans
  • sac contenant des contenus psychiques
  • matière contre laquelle s'adosser ou s'appuyer
  • système de mise en lien des organes et des sens entre eux
  • soutien de l'excitation
  • recharge libidinale

Imaginons donc que le dispositif VSM, sur ce modèle du Moi-peau, exerce ces fonctions principales sur le groupe.

B. Gibello (1984, 1988, 1994) utilise la notion de contenant de pensée et de contenant culturel. Selon lui, les contenants de pensée sont des structures ou des processus inconscients ou préconscients qui donnent sens aux contenus de pensées. Sans le rôle des contenants de pensée, les contenus de pensées resteraient dépourvus de signification. L’usage de nos différents sens permet de « reconnaître » un objet que nous observons et de l’identifier avec un autre objet, dont nous avons déjà une expérience antérieure. Cela lui donne un air de familiarité dont nous enregistrons le souvenir sous forme d’image mentale. Nos images mentales sont spécialisées et fabriquées par nos différents sens sous l’effet d’excitations sensorielles issues du sens correspondant.

Pour B. Gibello, les contenants culturels ont pour rôle d’organiser les investissements de la sexualité infantile permettant des relations satisfaisantes avec l’environnement extérieur. Le contenant culturel permet également aux représentations de soi d’être suffisamment conformes aux idéaux véhiculés par la culture. La culture offre ainsi ce que cet auteur appelle un contenant narcissique approprié. Il s’appuie sur Les processus de maturation chez l’enfant de D.W.Winnicotten montrant le rôle que jouent les phénomènes transitionnels dans l’accès aux contenants culturels.

Si nous étions dans une situation groupale à visée thérapeutique, nous tenterions de prendre en compte les pathologies des sujets et les effets désorganisateurs qu'elles produisent dans un groupe. Un dispositif contenant, capable d'assurer un espace corporel et psychique, serait recherché. Or, ce qui nous est donné à voir dans ce camion de la VSM est à priori d'une toute autre nature. Pourtant,la dimension contenante est présente, même si elle doit s’adapter aux particularités de cette clinique. Ici, il me semble qu’elle contribue à la continuité par sa dimension de transformation.

*** Référons-nous de nouveau au schéma : colonne 1.

Dans le cadre de notre pratique, nous faisons en quelque sorte avec ce qui nous «tombe dessus», ceci dans un espace que nous ne définissons pas mais qui nous est imposé. C'est presque une «psychologie de l'urgence», car nous n'avons pas le temps de connaître ces personnes. Certes, la structure métallique du camion contient physiquement chacun. Malgré cela, nous voyons combien la proximité est vécue comme envahissante. Pourtant, il semble que, malgré les conditions très précaires du départ, une fonction contenante ait pu être fournie. Comment comprendre ce court passage de l'orage à l'accalmie et cette transformation de l'espace menaçant en espace vivable ? Bien que le dispositif VSM ne prétende pas être un «espace thérapeutique», nous souhaitons cependant qu’il soit le plus «contenant» possible. Ici, au contraire, on trouve dès le départ un empiétement entre l'espace interpersonnel et personnel, un effacement de la distance corporelle entre les sujets. Les objets des uns et des autres viennent en quelque sorte violer l'espace de chacun.

Mais examinons à l'aide d'autres outils conceptuels la nature de la transformation des relations pendant ce transport.