1.4.2. L'utilisation d’une langue étrangère

Freud (1912-1913, Totem et tabou), nous a montré avec la psychanalyse un aspect de l'activité spirituelle inconsciente de l'homme qui possède un appareil lui permettant d'interpréter les réactions des autres hommes. René Kaës (1995), dans son article, « Le préconscient traducteur», attribue ce travail au préconscient. Le préconscient est doté de capacité associative, de traduction, d'interprétation. Ces dimensions s'inscrivent dans le travail de création du lien intersubjectif.

Parmi les personnes que nous côtoyons, beaucoup témoignent d'une souffrance psychique où l'activité du préconscient est défaillante ou faiblement construite. C'est pourquoi le travail de liaison, d'intermédiaire, est important pour construire les bases de la relation intersubjective.

Avec le recours aux mots d'une langue étrangère, on peut également dégager la dimension essentielle de « l'Unheimlich». L'effet de l'inquiétante étrangeté est que l'on y trouve quelque chose de soi, quelque chose de familier. Nous retrouvons dans la réalité extérieure quelque chose de notre propre réalité interne qui nous revient par le biais du réel, comme s'il s'agissait d'un miroir caché.

René Kaës (1993a, in B. Chouvier) précise que c'est bien sur un fond de «Heimlich», sur un fond d'identité, puisque la notion de «Heim», proche du « home » en anglais, est étroitement liée à la notion même d'une identité culturelle ou territoriale.

Prenons en compte l'histoire de ces personnes «errantes» transportées. Qu'en est-il pour elles de l'instabilité de ces lieux pourtant connus des SDF ? Régulièrement ils se confrontent à des lieux d'hébergement connus mais qui sont en même temps juxtaposés à des aspects inquiétants, tels que le racket, le vol, la promiscuité, le nombre de nuitées limitées dans un même centre. Au travers du jeu avec une langue étrangère, dans la proposition que je leur ai faite et dans leurs tentatives de proférer des mots d'une langue (étrangère), quelque chose de la figure du maternel féminin s’est joué. Comment comprendre les dimensions du familier et de l'inquiétant dans ces essais avec moi, une femme, et qui plus est, étrangère ? Une voix masculine, aurait-elle eu la même résonance ? Qu'en est-il de leur rapport à la femme en lien avec l'inquiétant ? Pensons à leur représentation de la «mère-rue» ou de la femme de la rue (prostituée).

Au contact de cette population, nous pouvons penser qu'une réciprocité dans l'inquiétante étrangeté se joue sur un fond d'incertitude pour le lendemain. Qui, parmi nous, n'est pas ému par la rencontre avec la misère ? La vision de ces personnes en errance, ne renvoie-t-elle pas chacun de nous à quelque chose d’à la fois inquiétant et familier ?