1.5. Quel travail « en déplacement » pour un psychologue ?

Dans cette clinique, il est intéressant de noter la proximité avec la population, l'absence de cadre visible, la dimension de l'illusion et une éventuelle séduction à l'œuvre de part et d'autre. Je pense très pertinente la remarque de Bernard Duez selon laquelle une «séduction nécessaire et suffisante» (réciproque) est nécessaire pour enclencher avec ces personnes la relation au-dedans et au-dehors. Etant donné qu'il existe une érotisation du contact, un cadre interne et une capacité de déplacement et de jeu sont des «must» parmi les outils des accompagnants de cette clinique.

Le but de cette réflexion était de pointer et d'analyser un moment précis de ce transport. De montrer comment, dans le processus de ce voyage, le déplacement a participé à un moment de transformation. Dans le camion de la VST, les contenus de pensées, les représentations sensorielles, motrices, verbales, émotionnelles sont réunies dans un contenant au sens où l’entend B. Gibello (1988). Le climat est tendu, les personnes éprouvées et proches de la limite de ce qu’elles peuvent contenir. Pourtant, malgré un départ difficile, le contenant a pu opérer un certain travail de contenance. Les représentations ont subi, de ce fait, une transformation, un déplacement et une sorte de brisure. C’est le sens que R. Kaës dans L’analyse transitionnelle attribue au versant conteneur du cadre dans sa fonction de transformation (1979c, p.65).Une considération positive de ces personnes résiderait dans la reconnaissance de leurs ressources leur permettant de se saisir d’un espace paradoxal de jeu, à condition toutefois qu’il leur soit fourni. Le cadre, les fonctions contentantes et transitionnelles ne sont qu’éléments potentiels en attente d’un espace « d’initialisation ». L’alchimie fournie par ces éléments et par la rencontre entre les divers acteurs peut potentialiser cet espace.

Un des rôles de la fonction contenante joué par le dispositif de transport a été d’inventer une continuité au travers de la dimension du contenant culturel. Le contenant culturel a, dans ce cas, provoqué une accalmie et fourni une possibilité à l’expression individuelle et groupale, facilitant du même coup la continuité de la tâche de l’équipe.

L’utilisation de l'espace par les sujets en errance urbaine se répercute sur la place que trouve le psychologue dans sa pratique dans ce type d'institution. L'intervention du psychologue, doit-elle se situer sur le terrain ou plutôt auprès des équipes socio-éducatives par le biais d'une supervision ? Je rappelle qu'en ce qui me concerne, j'étais embauchée pour ce travail de VSM en tant qu'infirmière psychiatrique, pas comme psychologue. La DDASS recherchait un «travailleur social», même si mon «bagage « en psychologie clinique offrait un intérêt pour mes employeurs (qui m’ont d’ailleurs sélectionnée sur ce critère). Pour la D.D.A.S.S., un psychologue travaille dans un bureau et fait des entretiens. En nombre d'heures, sa place dans cette clinique est très réduite. Il est vrai qu'il y a peu de demandes de suivi psychologique de la part cette population, mais faut-il vraiment attendre une demande formelle des errants pour considérer ce champ comme relevant du domaine de la psychologie et de la pratique du clinicien ? Que doit-on faire pour que l'importance de l'intervention des psychologues dans cette clinique soit comprise au niveau institutionnel ? Comme dirait la chanson bien connu de Bob Dylan, « the answer my friend is blowin' in the wind », ce qui veut dire, à peu près, que la réponse, mon ami, reste suspendue dans le vent ou dans l'espace.

Schéma transformationnel lors du transport
Schéma transformationnel lors du transport