2.3. Tenir l’attention d’autrui pour faire reconnaître son infortune

Les éléments suivants de son fonctionnement psychique ressortent au cours de l’entretien et peuvent s’exprimer. Ceci semble être d’ailleurs partiellement un des buts inconscient de Zahiri :

La désattribution et le rapport à la mort

Il joue avec la désattribution en s’exprimant en termes de « j'ai » ou « j'ai pas ». Au moment où je lui explique le chemin vers la Veille Sociale du Jour, il se moque ouvertement de moi, et bien que saisissant l'essentiel, se débrouille pour me faire répéter plusieurs fois. Lorsque je lui indique comment trouver la passerelle, il joue avec ce mot pour me mettre « hors service » quant à ma capacité de l'aider. Il insère «La Place Réal», La Place Réelle», «patralle» « patraque » pour brouiller les pistes vers la «passerelle» qui serait pourtant le passage obligé. Malgré une demande d’aide patente et ouverte, il annule les moyens qui me permettraient de lui répondre. A priori, il s’agit d’une situation paradoxale, cependant dans ce type de fonctionnement psychique, la motion d'appropriation (ou plutôt de non-appropriation) n'est pas paradoxale mais paradoxante, la logique paradoxante reposant sur la négativité et l'ambiguïté (J. Bleger). Ici, au plan subjectif, cette logique pousse vers quelque chose d'informe, auquel Zahiri se réfère à plusieurs reprises. Il s'agit du trou, du néant. La jouissance se joue ici dans le rapport à la mort, évoqué avec la recherche d'une tombe. Même la fonction de la couverture qu’il demande, en général symbole de chaleur et de réconfort, est annulée pour lui servir d'espace de tombe amovible ou de sarcophage.

Dans le cadre du transfert se joue également l’appel de la mort. Au moment où Zahiri parle de la tombe, je le laisse tomber… en arrêtant l’entretien.

L’absence de limites spatiales

Ce qu'il éprouve subjectivement, c'est que l'espace est sans bornes (« la rue il est très grande », « il y a plein de trottoirs »), que le monde est peuplé de milliers d’êtres mais ce sont des personnes incapables de l'aider. Pourtant, dans ce monde si vaste, il pourrait aller partout et faire un tas de métiers – selon lui, il n'a pas de problème – la seule chose qui s’y oppose, c’est le fait qu'on ne lui permette pas de faire ses papiers.

Dans le fait de ne pas pouvoir faire ses papiers et d’avoir des problèmes avec son passeport ne dit-il pas «Pas ce port ». Ce qu’il vit subjectivement et ce qui lui est renvoyé, c’est qu’il n’y a pas de port d’attache pour lui dans l’univers où il vit.

L'annulation plutôt que la conflictualité

Ce qui est constant au cours de l'entretien, c'est sa façon d’introduire un petit pôle d’opposition avant de se retirer.

Il reste poli et à des moments, il s’énerve lorsque mes demandes de précision lui font effet d’accusation. Il s'appuie sur mes mots, et pour finir, c'est moi qui sers d'amorce à la conflictualité. Cependant celle-ci tombe à plat pour s’orienter vers une attitude d’annulation de ma personne et de mes démarches le concernant. A des moments, sa voix ne peut pas tenir dans une stabilité mais oscille sans transition entre le ton aigu, criant, puis devient grave.

Les échanges dans la désolation

«Je suis désolé, Mademoiselle», dit-il à plusieurs reprises, alors que c’est lui qui demande quelque chose. Je finis par être, moi aussi, désolée.

Le transfert topique (B. Duez )sur fond de disqualification de l’autre

Il est là, présent dans l'entretien, en demandant des choses matérielles et des comptes («pourquoi La Veille Sociale ne travaille qu'une heure par jour»). Puis il est ailleurs («je pourrais aller au Danemark, en Italie, au Japon»). Puis il revient sur Lyon dans son discours. Plus qu’un recours à l’identification projective ou au clivage, nous constatons les processus suivants que Zahiri utilise avec le transfert à figuration topique :