2.4. Le fil identitaire abordé à distance via le fil téléphonique

Le téléphone introduit une distance supplémentaire. Si l’utilisation du magnétophone permet une transcription exacte du matériel, il m'aide également à me rassembler. Savoir que l’échange est enregistré me permet également de me dégager de la nécessité de noter des éléments du discours et donc de me centrer sur la tâche à accomplir – Rappelons-nous que mon travail consistait à trouver un hébergement pour Zahiri, pas à recueillir des données à des fins de recherche ou pratiquer une écoute à but thérapeutique. La méthode du recueil du matériel comporte souvent un registre du négatif. Freud mentionneque l'on gomme souvent le négatif dans le discours, ce qui constitue une résistance à l'écoute. J'aurais aimé gommer certaines de mes interventions et l'aurais certainement fait si j'avais enregistré l’ensemble de l’entretien. Par exemple, cette question que j’ai posée à Zahiri à propos de sa nationalité qui m’a semblé ne rien avoir à faire là. A priori, avec cette question, je rentre dans le registre du curieux et m'éloigne de l'objectif et de plus, elle n’est pas cohérente dans le cours de l'entretien. Cependant, en analysant la tournure de l’entretien, il me semble que cette question qui m’est venue de façon intuitive a permis à Zahiri d’exprimer sa souffrance. Ma question concernant sa nationalité est en lien avec ses origines et lui permet de se connecter avec son vécu subjectif. Certes, il s’enfonce dans un vécu abandonnique, mais où pourrait-il déposer ce vécu si ce n’est dans un lien qui est suffisamment à distance. Du fait de leur vécu d’exclusion, ces personnes sont « à vif » et elles agressent verbalement leurs interlocuteurs. Elles se font ainsi rejetées, ce qui renforce leur sentiment d’exclusion. Par le biais d’une demande centrée sur le besoin vital et à distance (par téléphone) cela lui permet de formuler ses plaintes, d’être entendu, sans qu’une réponse ne vienne apporter une « solution concrète » qui aurait comme effet de lui enlever ce dont il a « besoin ». En effet, il ne s’agit pas ici pour Zahiri de besoin physiologique mais il me semble que ce qui est vital dans sa demande, c’est le besoin de la reconnaissance de son infortune : « Pourquoi vous allez voir tout le monde, sauf moi ? », « Personne ne m’y aide, moi »).