2.6. Exister en négatif comme la partie sombre d’une photo

J. Guillaumin (1989, in Le négatif, coll. p. 23, 24) précise que le recours au mot «négatif» en tant que substantif est utilisé pour opposer la névrose à la perversion dans Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905b) où dans ce texte il s’agit uniquement d'un emploi métaphorique qui renvoie au renversement entre les parties claires et les parties sombres d'un cliché photographique lors de son développement. L'adjectif «négatif» est utilisé plus fréquemment chez Freud pour qualifier un certain type d'hallucination, une forme agressive du transfert, et les réactions observées parfois dans le rejet masochique des bénéfices de l'analyse. Ce dernier emploi fait suite à ses travaux de 1924 sur l'économie masochique et à La Négation (1925). La problématique sous-jacente concerne les rapports de l'oralité et de l'organisateur anal.

Depuis seulement une ou deux décennies le terme «négatif» en tant que substantif a pris une place importante dans le vocabulaire psychanalytique. Trois connotations, imbriquées les unes aux autres, peuvent être retenues :

Chez le chercheur, la négativité peut traduire la culpabilité liée au fait de mener une démarche de recherche à partir du vécu des exclus : c'est-à-dire, vivre de leur misère. Ceci est encore plus fort lorsque nous avons été incapables de répondre à une demande et que le sujet repart insatisfait. La recherche révèle le « rien », le trou, au sens du manque et de la faillite de l’environnement social et de l’accueillant. Ceci peut être le cas même si l’organisation psychique du sujet semble « rechercher » inconsciemment une réponse dans le registre du négatif.

Quant à Zahiri, habité par une angoisse paranoïaque d’être « pris », il déplace le contact mais il utilise ma voix comme contenant mais aussi comme jouet au bout du fil téléphonique pour que la VSM puisse le localiser. Tout en étant éloigné, il agit sur nous à distance. Au fur et à mesure qu’il parle, des images sont déposées en moi. Zahiri propose de partager un cauchemar avec lui de ce qu’il ne peut pas rêver. Ma présence lui permet de dire sous forme d’images, ce qu’il ne peut pas formuler lui-même. Dans ce sens, je suis à l’interface, comme un écran du rêve (B. Lewin, 1949), avec une fonction de tiers avec le téléphone. Par ce biais il a réussi à agir sur l’équipe d’accueil, le délocaliser et à le rendre corporellement présent, mais selon ses exigences à lui. Tout en nous mettant dans l’échec quant à notre capacité à le satisfaire, il reçoit un service « sur mesure » – dans les limites de ce que les services chargés de la précarité peuvent offrir et de ce qu’ils peuvent tolérer de la délocalisation et de la déformation que Zahiri leur impose. Rappelons la référence faite à la déformation subie par l’objet R. Kaës (1984) lorsque celui-ci se laisse utiliser comme un médium malléable, notion développé par M. Milner (1969) et repris par R. Roussillon (1991b, p. 137, 1995,1999a, p. 183) qui en dégage les éléments principaux suivants : consistance (dureté ou malléabilité) spécifique, indestructibilité, saisissabilité, transformabilité, sensibilité, disponibilité, réversibilité, fidélité et constance, le fait d’être vivant.