3.1. De la hauteur des toits à la toile de tente

Nous avons rencontré Michel sur son lieu d'habitation : une tente installée dans un terrain vague entouré d'immeubles dans la banlieue. La toile est humide mais elle «tient le coup» même par grand vent. Il partage les lieux avec un ami de confiance. Nous nous installons dans un café pour mieux le connaître et discuter des raisons qui l’ont conduit à vivre sous sa tente. Il s’est retrouvé dans la rue à 28 ans, suite à un divorce. Il vient du Nord où pendant plusieurs années il a travaillé sur les toits. Il présente le travail comme dangereux – il montait des tôles sur l'épaule – parle de camarades qui ont glissé, mais précise que, lui, n’avait pas peur du vide.

Depuis 4 ou 5 ans, il vit avec le même compagnon sous une tente, ce qui lui donne une impression de plus grande liberté. Il refuse d'aller dans les centres d'hébergement où, d'après lui, «on dort avec un œil et on surveille avec l'autre ». Même dans les squats, il ne se sent pas vraiment en sécurité. Il y a quelques années, il allait voir des amis dans les gares, mais l'ambiance «réchauffée» autour des bouteilles de vin le décourage d'y retourner.

Michel, la cinquantaine, a une allure surprenante : chapeau, grande barbe et vêtements beiges. Le timbre de sa voix est très doux et ses paroles semblent se perdre dans sa barbe. Nous devons nous pencher vers lui pour distinguer ses mots. Sous les bords de son chapeau, un regard timide nous dévisage et retrouve par intervalles une position plus confortable sur le rebord de son verre. Il refuse qu’on le prenne en photo, mais accepte de nous faire visiter sa tente et nous laisse la photographier à l’intérieur et à l’extérieur. Il semble fier de nous montrer ses lieux et souligne que ce mode d’habitation lui procure une indépendance. Il regarde souvent sa montre, très concerné par l'horaire.

« Bon, c'est onze heures moins le quart. Je dois aller jeter un œil sur la tente ».

Lui et son camarade passent plusieurs fois dans la journée pour la surveiller. Il nous parle du danger représenté par d’autres bandes de jeunes, qui pourraient la dévaliser ou même les mettre dehors son ami et lui pour s’installer à leur place.

Nous savons également qu'il a envie d'aller «au travail». Ses semaines s'organisent autour d'un circuit de marchés dans la banlieue où il fait la manche. Ses relations avec les commerçants et les vendeurs des marchés sont excellentes. Il parle avec mépris de ceux qui font la manche avec une bouteille à coté d'eux. Il fréquente un lieu d'accueil de jour proposant douche, vestiaire, et l'attribution du RMI avec lequel il vit.

Avant de nous quitter, il nous confie que cela lui plaît de vivre dans un coin tranquille avec un minimum de relations :

« Ce dont j'ai besoin, c'est d'être libre. Ce que je veux c'est de n'avoir aucune charge et de ne rien devoir envers personne. Je ne veux rien payer ».