3.4. Une carapace contre la trace

Michel ne s’attarde pas sur son passé, il ne semble pas affecté lorsqu'il évoque son histoire. Ce qui pourrait faire trace chez lui est évité. Sa crainte de la dette symbolique est signifiée par son refus de devoir quelque chose à autrui. La peur de dépendre d’autrui dresse entre la société et lui un blindage affectif impénétrable. Ce qui pourrait fournir contenance et contour semble représenter, au contraire, une crainte d'intrusion. Bien que peu loquace, son discours soulève un paradoxe : d’un coté son illusion est celle d'être libre, mais de l’autre sa vie est structurée de manière si rigide qu’il lui faut construire une carapace contre tout lien susceptible de l’affecter.

Notons le décalage entre son impénétrabilité relationnelle et son choix d'habitat. D'un coté nous repérons une dureté dans ses échanges et une rigidification de ses investissements, alors que, de l'autre, il recourt à un abri souple sous la forme d’une tente. Légère et peu résistante, la tente est destinée à un usage temporaire, généralement lié à l’évasion et au jeu. Michel, lui, en fait son habitation principale.

En ce qui concerne mon contre-transfert, mes affects sont inaccessibles et gelés. Les images que me laissent Michel sont celles de son lieu d’habitation sur ce terrain humide. Le vent qui souffle en ce début avril est frais ; il a plu ces derniers jours. Nos pieds s’enfoncent dans la boue et nos chaussures sont mouillées. Près de la tente, quelques vêtements ont été mis à sécher sur des fils tendus. J’ai vu les matelas où ces deux hommes dorment à même le sol, et j’imagine la literie, leurs effets personnels et les denrées alimentaires saturés d’humidité et de froid. Comment font-ils pour sécher leurs affaires et se réchauffer dans cette atmosphère ? La nuit, seule la lueur d’une bougie les éclaire, et je suis certaine que cette dureté, ce froid, ce mal, s’insinuent, s’installent dans les articulations, les os, le ventre, le cœur. Peut-être la bouteille de vin est-elle la seule capable de réchauffer, réconforter, anesthésier les maux et accompagner ? Omniprésente, elle est toujours à la portée de main et n’adresse jamais ni réprimandes ni reproches.