4.1. Maria : ou la peur de se perdre

Maria apparaît dans la gare une nuit d'hiver. Elle est avec un groupe d'hommes que nous transportons régulièrement dans les foyers. Ceux-ci nous demandent si nous pouvons obtenir un hébergement pour elle. Elle pleure et nous montre une profonde entaille à vif sur sa main. « Je me suis coupée avec du verre » explique-t-elle. « Je ne sais pas où aller cette nuit ».Nous proposons de l'emmener, dans un premier temps, aux urgences de l'hôpital. D'origine portugaise, elle a 44 ans, des cheveux bruns raides et gras, et sent fortement l'alcool.

Le foyer ou l'impossibilité de vivre avec autrui

La Veille Sociale Téléphonique (la VST) fait son «enquête» afin de lui trouver une place parmi les deux foyers féminins de la région. La standardiste nous informe que Maria a été accueillie pendant plusieurs semaines dans un de ces foyers. L'accueillant du foyer nous précise alors qu'elle a été exclue une semaine en raison de sa conduite violente : agressions verbales contre l’une des accueillantes et bris d’une porte vitrée, claquée violemment sous le coup de la colère. C’est à cette occasion que Maria s’est coupée la main, avant de prendre la fuite et d’errer dans la gare.

Une fois sa main recousue, les urgences de l'hôpital informent la VST, vers 23 heures, que Maria peut repartir. L'équipe de la VSM la retrouve assise dans la salle d'attente. Bien qu'elle ne nous connaisse pas, elle nous suit, sans appréhension apparente, vers une destination inconnue d'elle.

Maria reste pendant une période de plusieurs semaines dans un nouveau foyer, où elle est «inscrite», ce qui signifie qu’une place lui est réservée et qu’elle n’a plus à se soucier de l’endroit où elle passera la nuit. Elle bénéficie également d'un suivi social. Là, elle peut recevoir de l'aide afin de refaire ses papiers d'identité perdus et être informée sur le «circuit social» de Lyon. Maria devrait, en principe, se rendre par ses propres moyens au foyer à l'heure du dîner. Pendant quelques temps, nous ne la voyons plus en ville, puis elle réapparaît de façon irrégulière. Elle nous dit que parfois elle n’a pas envie de vivre en foyer avec les autres. « Mes pieds et mes chaussures sentent mauvais et ça gêne les autres ». Ces faits semblent être à l'origine de son auto-exclusion du groupe, mais elle en parle comme si elle était spectatrice d’un comportement qui lui échappe. Elle demeure impuissante à remédier à son odeur et à ses actes.

Prendre le train pour ne pas rester seule

Pendant ces périodes où elle ne va pas passer la nuit au foyer, il semblerait que Maria prenne le train. « Je me mets dans un train pour aller n'importe où. Je ne sais pas où vont les trains. Dans la gare, je ne peux pas rester seule la nuit. J'ai peur dans la gare et il fait froid. On peut rencontrer n'importe qui la nuit dans la gare ». Cependant lorsqu'elle ne sait pas où aller, la gare lui fournit «une solution» paradoxale. « Je prends le train » dit-elle. Avec le train elle peut s'échapper. Elle peut partir et revenir. Notons qu'au sein de notre dispositif VSM, nous «baladons» également les gens de lieu en lieu. Rouler d'un lieu à un autre est peut-être similaire au bercement du train. Il est parfois étonnant de constater que certaines personnes, sans savoir où elles vont, se calment une fois prises en main et «logées» dans le véhicule de la V.S.M. Dans les circonstances telles que celles évoquées dans la situation de « transport en commun » (II, ch. 2 :1.1) ce bercement peut fonctionner comme un «holding» pare-excitant ayant un effet auto-calmant.