4.2. Robert : ou le risque de perdre son enveloppe

Nous rencontrons Robert, 31 ans, de type maghrébin, à la gare durant les premières semaines du Plan Froid. Il a bénéficié des services du dispositif les années précédentes.

Il semble très heureux chaque fois qu'il nous retrouve. Il nous appelle par notre prénom et nous serre la main. « Heureusement que vous serez toujours là pour moi » dit- il en tapant dans le dos des membres de l'équipe. Sa chaleur avec nous semble quelque peu exagérée étant donné le peu de rapports que nous avons eu jusque-là. En général, il est à la gare entre 23 et 24 heures – fourchette dans laquelle la VSM passe.

Robert s'adresse directement à l'équipe pour demander un hébergement, sans passer par le 115. Il demande à être transporté même lorsque sa place est réservée. Etant donné que le foyer est proche de la gare et que Robert, jeune et apte physiquement, n’a aucun problème pour s’y rendre, l'équipe VSM et les accueillants du Lieu B. sont partagés en ce qui concerne son accompagnement. La VSM ne doit pas faire office de taxi, surtout lorsque nous savons qu'il y a d'autres personnes dehors qui attendent et qui, eux, ont réellement besoin de transport. En somme, nous avons peur d'être manipulés par Robert. Pourtant, Robert est-il capable d’entendre nos règles et notre cadre ? Et ce cadre est-il vraiment bien adapté à ces personnes ?

La VSM : transport, casse-croûte et présence

Il semble que le transport dans le véhicule de la VSM comporte un attrait supplémentaire pour Robert. En effet, à chaque fois, il essaie de monter à l'arrière du véhicule et, au cours du trajet, se sert dans la boîte à « casse-croûte » à l’arrière sans en demander l’autorisation. L'équipe l'a réprimandé de nombreuses fois, mais il recommence systématiquement. Sans attendre d’être arrivé, il «attaque» tout de suite le contenu du casse-croûte, ouvrant et étalant tout ce qui s'y trouve au milieu des autres passagers. Impassible aux désagréments causés par la dispersion des aliments, les odeurs de sardines à l'huile, du pâté gras, des tartines faites sur place, le jus dégoulinant des oranges, il mange de manière compulsive. Ainsi ce transport lui permet-il de combler son besoin d’une façon maternelle (abondance et satiété) où tout est à disposition. Il n'y a qu'à tendre la main.

Ses absences

Pendant de courtes périodes Robert disparaît de la gare. Il n'est pas suivi par les éducateurs de la Veille Sociale de jour. Tous les rendez-vous pris échouent. Il nous dit très peu de choses sur sa vie. Nous savons cependant qu'il voyage souvent en train entre Lyon et sa ville natale dans la vallée du Rhône où se trouve sa tutelle. Il est vrai que certaines personnes reçoivent une pension leur permettant de payer de temps à autre une nuitée d'hôtel. Est-ce le cas de Robert pendant certaines périodes ? Lorsqu'on lui demande s'il prend un billet pour voyager dans le train il répond : « j'ai le droit de voyager dans le train puisque j'ai une carte d'identité ». Il confond la fonction d'un titre de transport avec la fonction d'une carte d'identité. Selon sa logique, il montre son identité et cela lui confère l'équivalent de la possession d'un titre. Avec son identité il estime avoir au moins le droit de circuler. En tant que SDF il n'est pas solvable mais pour établir une contravention le contrôleur lui demande, bien entendu, une carte d'identité.

Il nous dit que pendant la journée, il se met dans un coin pour écouter son walkman tranquillement :

« Je ne supporte pas le bruit dans ma tête et le bruit des gens ».

Au cours des transports, des échanges ont lieu entre Robert et les membres de l'équipe VSM. Lorsqu'on l'interroge de plus près sur sa vie, sur son passé, Robert rit nerveusement. Une angoisse en crescendo semble l'envahir.