4.3. Berthe : ou s'accrocher aux objets d’intimité visibles

De façon ponctuelle la VST est prévenue par le poste de police, se trouvant à proximité du foyer féminin, de la présence de Berthe dans leurs locaux. En général, Berthe se rend par ses propres moyens au poste de police au lieu de regagner, le soir venu, le foyer féminin. Elle demande aux officiers de la faire raccompagner au foyer et s'installe sur une chaise en attendant que la police téléphone au numéro 115 et que le véhicule de la VST arrive. En rentrant dans le poste de police, l'équipe VSM trouve Berthe installée devant un café et des biscuits (offerts par les agents de police). Elle ne donne pas de signe de reconnaissance particulière à notre égard et prend tout son temps pour finir son café. Pendant ce temps, l'équipe tente de contenir son impatience. Après tout, d'autres personnes attendent notre venue dehors au froid ! Berthe est raccompagnée avec le véhicule jusqu'au foyer. Les membres de la VSM descendent avec elle devant la porte de foyer, où ils sonnent et attendent qu'un accueillant du centre d'hébergement ouvre la porte.

Parfois la présence de Berthe dans l'entrée d'un métro est signalée par des employés du système des transports ou par des passants. Apitoyés par son état d'ébriété, par son apparence négligée et par son odeur, elle trouve parmi les passants quelqu'un qui téléphone au numéro d'urgence pour elle.

L'objet « culotte en dentelle »

Un soir lorsque nous raccompagnons Berthe au foyer, un bout de dentelle dépasse de la poche de sa veste. En regardant de près, il s'agit d'un très grand slip de femme. Comme ce sous-vêtement risque de tomber à terre, un membre de la VSM le lui fait remarquer. Berthe l'enfonce au fond de sa poche pour le cacher en grognant. « C'est quelqu'un qui me l'a donné ». L'idée que Berthe l'a volé dans le marché du quartier où elle déambule pendant la journée circule parmi l'équipe et l'originalité du choix de l'objet nous amuse.

L'objet carte d'identité

Pendant quelques nuits Berthe est exclue d'un foyer, après maints avertissements, pour conduite inacceptable (arrivées tardives, état d'ébriété, perturbation de la vie collective). Un soir, après une exclusion, elle sonne à la porte de ce foyer. On lui parle, via l'interphone, lui rappelant son exclusion. Ses affaires sont à l'intérieur et elle insiste pour rentrer afin de les récupérer. L'accueillant craignant de ne pouvoir se «débarrasser» de Berthe une fois celle-ci rentrée ne lui ouvre pas la porte. Comme elle insiste pour avoir sa carte d'identité, l'accueillant prévient la VST afin que ce dispositif lui trouve un autre foyer et qu'un véhicule vienne la chercher. Notons que la préoccupation de Berthe pour ses affaires et pour ses papiers d'identité est inhabituelle. Lorsque l'équipe de la VSM arrive, Berthe est toujours assise devant la porte. L'accueillant du foyer ouvre la porte pour donner à Berthe les affaires et les papiers d'identité qu'elle exige. Berthe repart en direction d'un nouveau foyer qui l'accueillera - mais pour combien de temps ?

Pour Berthe, la carte d’identité représente peut-être quelque chose qu'on ne pourra pas lui enlever.

Devons-nous donc considérer que l'espace public possède une fonction psychique pour l'errant ou bien l’envisager comme une annexe de la psychiatrie ?

Ces personnes, nous l'avons vu, sont insaisissables. Il semble illusoire d'attendre de leur part une demande d'aide. Faut-il tout de même exiger un minimum ? Sans envisager pour eux une démarche de réinsertion, qu'en est-il de leur possibilité de respecter les horaires et le cadre en général ? En tant qu'intervenant psycho-social du réseau, dans quelle mesure s'accepter comme annexe de la psychiatrie ?

Revenons à notre idée selon laquelle l'espace public occupe une place, de façon plus ou moins longue (transitoire), dans le fonctionnement psychique des SEU. Tentons de comprendre ce que les trois personnes mentionnées trouvent dans leur expérience errante en adéquation avec leur psychisme.