5.3.1. Un autre semblable

Tandis qu’il nous parle de son animal, Jacques expose diverses facettes de lui-même. Par exemple, il n'aime pas la viande trop cuite, mais la préfère très saignante, comme son chien. Ainsi au travers de l’animal nous parle-t-il de sa propre agressivité, et peut être des violences qu'il aurait subies ou qu'il redoute. Le chien, avec ce coté «carnassier», semble constituer un moyen de défense, il lui permet d’éviter des situations auxquelles il ne pourrait pas faire face. Le collier «dentelé» autour du cou de l'animal, sa taille, ses crocs impressionnent. Comment ne pas être fasciné par ce gentil toutou dans lequel se tapit une bête potentiellement féroce ? Tant de force bridée, disponible sur la commande de son maître ! Ce coté représentation phallique de puissance en laisse, appuyé par son nom : Manhattan, suggère que Jacques se prémunit contre un danger grâce à ce qui est gigantesque et impressionnant. Cependant, ce n’est sera pas tant la réalité palpable de l'animal présenté par Jacques qui compte. Ce qui semble plus important, c'est qu'en nous parlant des moyens qu'il possède pour maîtriser le danger, Jacques évoque indirectement la violence dans la rue, ainsi que sa violence interne et son sentiment de vulnérabilité. En fait, il nous parle de sa façon de se percevoir au monde.

Situé entre le monde et Jacques, le chien aurait ainsi une fonction de filtre. Je pense que le chien fait ici partie des « objets » qui occupent une fonction d’intermédiaires.

S. Moscovici (1999) distingue plusieurs manières d'être des hommes face aux animaux. Ainsi, l'animal de compagnie est personnalisé, assimilé à soi, considéré comme un miroir de soi même. Cet animal revêt un aspect décoratif. On le montre aux autres, il fait partie de l’image de soi, et dans ce sens participe à la socialisation de la personne.

L'animal peut également aider l'homme à préserver un rapport avec le monde naturel. Par cette continuité avec le monde des animaux, en s'identifiant à eux, l'homme se sent plus proche de son origine, de ses racines, donc plus «centré».

Je pense que pour les personnes en errance, cette construction identificatoire pourrait pallier au manque de repères et d’attaches qui les caractérisent et participer à un sentiment d'appartenance. L'animal comblerait alors l'absence de miroir relationnel humain. Moins décevant que les hommes, il pallierait à la déliaison et atténuerait la souffrance. Une souffrance cependant intacte.