5.3.3. Un révélateur du minimum pour l’animal (que je suis)

Jacques semble décrire au travers de Manhattan ce dont il a besoin lui-même et nous brosse son auto portrait. Jaques Derrida (1999) dans L’animal autobiographique ouvre une perspective singulière qui porte sur le monde interne de l’animal qui regarde l’homme.

Jacques (le SEU !) nous donne un aperçu du minimum nécessaire dont il s’agit :

Ce qu’il faut au minimum, un endroit pour qu’il puisse faire ses besoins, c’est quand même le minimum, une gamelle d’eau parce qu’un chien il a besoin d’eau constamment, une gamelle pour sa bouffe comme là, et au minimum une niche pour protéger du froid, de la pluie ou autre. Je crois que c’est un minimum qu’on peut donner à un chien. Ici, dans ce centre je suis bien car ici le chien n’est pas différent... déjà et d’une...

Au travers du récit de Jacques on ne saisit pas très bien qui est différent de qui. N’est-il pas en train de parler de ses propres besoins à lui qu'il transfère par un jeu d’identifications et de projections sur l'animal ? Comment faire en sorte que l'homme soit davantage homme, et comment peut-il rendre le chien davantage animal ? Quelle fonction thérapeutique l'animal peut-il avoir pour des personnes ayant des difficultés pathologiques ?

Nous l'avons vu avec l'exemple de Jacques et son chien, il n'existe que peu d'espace psychique entre eux. Ce type de relation est décrit dans la théorisation faite par D. Anzieu, avec le Moi-peau (1985) qui s'appuie sur la représentation d'enveloppes psychiques et d'une « peau commune ». Ce type d'organisation mentale est lié au fantasme d'une peau commune, comportant tout de même une frontière, entre un sujet et un objet. Bien qu'il s'agisse d'une relation « collée », l'intérieur de l’objet auquel le sujet est « collé » peut-être investi. A l'intérieur d’un objet, il est possible, selon la théorisation faite dans Au sujet du Moi-peau par A. Ciccone A. et M. Lhopital (1991) pour le sujet de s'y installer, se l'approprier, l'attaquer, le convoiter. Cette idée introduirait ainsi un minimum de séparation entre l'homme et son animal. Si ce modèle semble convenir pour décrirele partage d'une peau commune, telle que la relation qui relie Jacques et son chien, elle ne semble cependant pas permettre à l'animal d'occuper, dans la vie psychique de son maître, une fonction d'objet transitionnel. Rappelons-nous que l'objet est transitionnel lorsqu'il est intermédiaire, c'est-à-dire qu'il vient entre. La peluche opère la transition entre l'enfant et la mère protégeant ainsi contre l'angoisse de la séparation dans le sens qu'il représente la mère sans lui être identique. Or, il semble qu'ici, aussi bien du côté de l'homme que du côté du chien, il n'est pas possible d'envisager la distance de l'objet. L'accès à une aire d'illusion, ou à une aire intermédiaire (un espace de différence d'avec l'objet) n'est pas possible. Revenons à notre exemple de «l'homme au chien» qui partagerait une peau commune. Pour sortir du « collage », de la confusion des places et de l'ordre des valeurs est-il possible d'encourager l'homme à s'identifier davantage à ses semblables ? Comment introduire une instance intermédiaire qui encouragerait l'homme à se distancier suffisamment de l'animal ?

Il semble pour ces sujets que leur problématique psychique est bien là : à la fois dans la possibilité de reconnaître cette différence et aussi dans la question de la séparation. L'exemple de Jacques, montre que c'est bien pour ne pas élaborer la séparation d'avec sa femme qu'il a besoin d'un animal qui ne le quitte jamais, qui lui serait fidèle et comprendrait ce dont il a besoin, c'est-à-dire d'une présence constante. Il y aurait une sorte de compréhension instinctuelle mutuelle entre l’homme et la bête.