5.4.5. De l'instinct animal à imaginer un dispositif pour nuancer le lien

Il pourrait être intéressant de créer/ inventer un dispositif avec une visée éducative permettant l'accueil des maîtres avec chien dans un même lieu. L'intérêt de ces lieux résiderait dans une approche construite autour de la relation entre l'homme et l'animal. Avant d'aborder les modalités d’accueil concrètes et matérielles de ces lieux, regardons de plus près les fondements affectifs et sociaux qui sous-tendent cette proposition quant aux bénéfices psychiques qu'ils offriraient aussi bien aux usagers qu'aux citoyens.

Dans l'optique développée, ce dispositif servirait d'objet investi de phénomènes transitionnels. Imaginons un dispositif mettant en valeur le «commerce» entre l'homme et son chien dans un cadre adapté, ceci en appui sur des personnes d'accueil, elles aussi concernées par ces échanges. Dans un tel contexte l'animal serait le centre de l'attention. Cela sous entend de la part des accueillants le pouvoir de contenir, d’accompagner pendant le temps nécessaire, la relation « collée » entre l'homme et l'animal. La visée serait une déprise progressive de l'animal en faveur d'un appui sur le dispositif, sans oublier cependant que le chien constitue un élément indispensable de ce dispositif.

S'occuper de l'animal fait également du bien à l'homme. On pourrait imaginer que Jacques dise : « ce que tu fais à mon chien, je le ressens pour moi»; ce qui illustre bien les effets d'une interdépendance mutuelle.

En s'occupant de l'animal, l'humain pourrait s’offrir un intermédiaire, qui par son apparence et son comportement génèrerait une image de soi positive. Dans ce registre, H. Montagner (1999) utilise le terme d'animal «potiche-miroir» pour qualifier l'organisation ou la mise en scène de l'animal qui confère à son maître une valorisation, un pouvoir et une fonction sociale. Par ce biais le chien trouve une place de médiateur entre le maître et ses interactions humaines. Il symbolise des conduites et des manques dans l'histoire du maître que le vécu de ce dernier a rendu inaccessibles ou incommunicables. Les photos réalisées de Jacques et de son chien se situent bien dans ce registre. Rappelons l’expression de fierté qui se lit sur son visage lorsqu’il expose son chien pour la photo. L’animal est mis en avant plan et la main de Jacques est en appui sur la tête de Manhattan.

Nous évoquons «l'accroche» que représente le chien entre grand nombre de « marginaux » lors de leur activité de mendicité et le passant. Jacques, de son côté, précise que, pour lui, le chien joue un autre rôle.

« Un chien c’est pas pour m’en servir pour faire la manche ».

Cependant il semble que, par sa description précédente des besoins du chien, Jacques décrit le portage psychique dans le sens du holding (D.W. Winnicott) ou de la fonction de maintenance. Sa quête de ces qualités d'échange est transférée sur le chien. Le «minimum nécessaire» qu'il revendique pour son chien comporte peut-être un désir d'être lui-même suffisamment soutenu, étayé, adossé à l'édifice social. Ainsi, bien que la problématique de la place (place pour être chien, mais plus vitale, place pour exister en tant qu’être humain) se rejoue dans la rue, elle prend ses racines dans l’histoire personnelle. Est-ce que ce qu'il réclame pour son chien n'est pas ce qu'il n'ose revendiquer pour lui ?

« C’est une institution que s’est fait la rue. Quand on a un chien, la vie dans la rue est très dure ? On se fait plus rejeter que les autres parce que les gens se disent : ils sont dans la rue, pourquoi ils ont un chien ? Ils ne regardent pas les antécédents ».

Les situations où l’on s'occupe du chien, pour le nourrir, le soigner réellement comme un animal avec les contacts corporels que cela implique, se situent dans le registre d'une fonction contenante, le handling (D.W. Winnicott). Ces éléments contiennent des moments régressifs de symbiose avec l'animal. Ces moments de contact et de séparation, de plaisir commun, interviennent dans un processus de maturation. Et ils ressemblent fort aux soins corporels que la mère donne à l'enfant. Ainsi, avoir quelqu'un (même si c'est un animal) à s'occuper, ça donne un sens à l'existence, ça donne le sentiment de compter pour quelqu'un et c'est important dans ces problématiques narcissiques identitaires. Avec l'introduction d'un dispositif qui utilise le chien comme objet intermédiaire , pour favoriser les processus de liaison, il serait aussi possible de travailler dans une optique d'individuation.