5.5. Pour lâcher « la main » de son chien

Ainsi que nous l'avons démontré, l'animal joue un rôle très important pour l'homme. En comblant une faille dans l'existence de ce dernier, il évite, dans des moments de rupture ou de régression, de commettre le pire. Il donne à l’homme le sentiment de pouvoir maîtriser son environnement : chose perdue ou jamais vraiment acquise pour beaucoup d’individus. Pourquoi donc intervenir pour les séparer psychiquement ? N'est il pas risqué pour le SDF de s'éloigner d'un objet qui rassure et «abrite» de la sorte ? Qu'apporterait de plus une distanciation ?

Au sein de ce dispositif de travail effectué entre l'homme, son chien et des accueillants formés, un travail d'accompagnement s'effectuerait. Ce serait donc un biais pour rentrer dans un cadre thérapeutique (auquel le SEU adhèrerait dans l'intérêt de son chien).

Pour l'homme, la séparation aiderait à retrouver ses propres limites corporelles ainsi que les contours de son Moi. Cela contribuerait à la réappropriation de sa subjectivité et de son identité.

Ces éléments nous montrent, de façon succincte, que la séparation psychique d'avec l'animal est structurante pour l'homme. La création d'un dispositif de ce type semble compatible avec l'effet d'individuation et d'autonomisation recherché.

Il ne s'agit donc pas uniquement de multiplier les lieux d'accueil pour chiens et maîtres, mais avant tout de les penser. Certes, dans un premier temps il serait nécessaire d'élargir les capacités d'accueil. Le «plus» dans ce type de dispositif serait un accueil centré sur la contention de la relation fusionnelle entre le chien et l'homme, mais sans pour autant reproduire, à une plus grande échelle, le schéma des accueils existant aujourd'hui. L'optique n'est pas non plus d'encourager les SEU à avoir plus de chiens. Cette approche nécessite de travailler avec d'autres partenaires et réseaux pour s'enrichir de leurs capacités et de leurs spécificités.

L'idée est d'utiliser le chien (parce que l'homme l'investit très fortement), non pas comme outil, mais comme un partenaire intermédiaire de la relation. Intermédiaire dans la mesure où il permettrait d'aborder, indirectement, la question de la séparation, de la perte et de la solitude : autant de thèmes prévalents dans le parcours des SEU et qu’il leur est souvent impossible de s’approprier.

Une formation pour les accueillants serait nécessaire afin d'éviter que ces endroits ne deviennent de simples lieux utilitaires servant à «caser» les chiens. Il serait possible de transposer un «cadre thérapeutique» à partir d'expériences telles que celle de Renée de Lubersac (1999). Une méthodologie adaptée aux problèmes rencontrés par cette population serait humaniste (III, ch.1 : 6.4) et tiendrait compte de la globalité des personnes.

Sur le plan concret, nous pourrions proposer de mettre en place un système de gardiennage (de jour et/ou de nuit) en réseau avec la société de protection pour les animaux et des éducateurs maîtres-chiens.

Les pistes suivantes serviraient de base de ré-apprentissage :

La pratique des éducateurs pourrait, grâce à leur créativité et leurs initiatives, affiner les pistes de réflexions et de recherche.

Il me semble que le chien permet d’appréhender certains aspects du fonctionnement psychique de leurs maîtres : la problématique du désir, de l'autre, de l'objet, de sa différence. Comment on supporte que l'autre soit différent de ce qu'on attend de lui pour combler nos manques ?Pour J. Lacan, « (…) le désir de l’un trouve son désir dans le désir de l’autre, non pas tant parce que l’autre détient les clefs de l’objet désiré, que parce que son premier objet est d’être reconnu par l’autre » (in Ecrits, 1966, p. 268 ). Le chien apporte aussi cette dimension de reconnaissance, structurante, puisque « travaillable » avec autrui, où quelque chose qui se situe sur une autre scène puisse se jouer au quotidien.