6. Nordine : Un besoin d’espace de contention : la maison d’arrêt

Nordine a 35 ans. Nous le rencontrons dans la rue où il discute avec d’autres personnes. Les travailleurs sociaux nous ont indiqué qu’il utilise, de façon ponctuelle, l’hébergement d’urgence. Nous ne l’avons vu qu’une fois à l’occasion de cet échange au cours duquel il a accepté de se faire photographier. Nous n’avons pas pu lui remettre sa photographie par la suite. Il parle d’un trait, sans hésitation et on a l’impression d’assister à une chanson de rap.

L’entretien

« Je m’appelle Nordine, né le 15 2 1965 ..dans le nord 59, Lille, Pas de Calais, 62. Roubaix Tourcoing. Premièrement, j’ai fait toute la prison toute ma vie. Ni port d’arme, ni tuer, ni meurtre, ni rien, ni viol, ni pointe. Moi je vis pour moi-même sans violence. A l’âge de 15 ans j’étais en prison. J’ai pris 6 ans de prison ferme. Je suis sorti à l’âge de 21 ans j’étais marié sans connaître la femme. En une seconde, un coup de flash comme un appareil à photo ; c’est trop vite et trop rapide. Un an après, le divorce : Michael Jackson qui descend son escalier. Comme moi on m’appelle Michael Jackson, James Brown.

Beaucoup d’argent dans les poches c’est vrai. Mais l’argent pour moi rend service. Cette femme là j’étais marié née à Marseille, Bouche du Rhône. J’ai un fils né 87, il va avoir 13 ans, il s’appelle Ali. J’suis séparé de elle en 88 , divorcé 89, et j’étais encore en prison. Tout le temps la prison. .. Je revois une autre femme, retour à la .... comme on dit, case départ à zéro. Je parle avec elle, je lui demande une cigarette, t’as besoin d’une cigarette, j’lui dis allé ciao. J’la regarde ça m’branche mais qu’est ce que je fais ? Je prends le train. Je fais 1200 km par jour. Tous les jours, tous les jours je fais 1300 km. Une fois je suis en Allemagne, une fois j’suis à Marseille, une fois j’suis à Toulouse, une fois j’suis à Montpellier . J’suis tout partout. J’suis fiché tout partout la liste rouge. Il y a personne qui me connaît à part Dieu. Et c’est la réalité rien que la vérité. J’ai 3 noms de famille. Vous pouvez faire une enquête, j’ai B…. le premier nom de famille que j’ai de mes parents. Le deuxième c’est O…. maintenant que j’ai mon vrai nom. Et c’est toujours des vrais noms. Pourquoi ? et ben je sais pas pourquoi on change de nom de famille, on est des architectes, on est des riches, des boxeurs des... mais moi j’ai grandi tout seul. C’est la vie, il faut dire qu’est ce qui est vrai, j’ai rien à cacher. Et je dois rien du tout à l’état.

Bon, bref, la deuxième femme, je me suis mariée à Toulouse en 1994. Elle est née à Villefontaine, j’ai une petite fille de 4 ans, elle est née le 22 juin, 1996. J’étais encore en prison à Avignon, j’suis tout partout dans toutes les prisons. J’suis ressorti, j’suis rentré endetté, j’me suis rendu. Il faut le courage, ..... j’me suis déjà rendu plusieurs fois et j’suis très honnête avec l’état. Et voilà et c’est pour ça qu’il m'aime bien l’état. La cabane est tellement bonne, ça dépend quelle prison. Enfin bref, on est en prison, on est en prison. J’suis sorti le 5 février, j’ai tapé 2 piges. 5 jours où jusqu'à maintenant, nous sommes l’an 2000, pour décembre, janvier, février, mars, il y a toujours des meurtres, des gens qui se tuent eux-mêmes qui se pendent tout ça. C’est les algériens je pense, tu sais pas, tu sais plus, c’est pas des français. Et je peux leur prouver mon certificat que j’ai des preuves. Les surveillants là bas, c’est tous des racistes, ils provoquent, ils tabassent. J’l’ai vu de mes propres yeux. Moi jusqu'à maintenant ils ne m’ont jamais touché, j’me laisse pas faire. C’est impossible. J’suis jamais sorti de promenade. J’suis resté 8 mois enfermé 24h sur 24. Merci dieu j'avais toute la marchandise. Un bon jour le 30 décembre mon collègue disparaît. Ils surveillent toute la prison ; ils ont tout retourné la prison. J’avais tout sur moi. Quand ils sont rentrés dans la cellule ils sont restés une seconde ; La deuxième fois j’ai dit à mon copain t’as mal parlé, t’as parlé trop vite. Le matin bonne heure tu dors jamais. Tu dors toujours le parloir, le parloir, le parloir... surveillant parloir ? Oui, ouais c’est super. Il faut jamais dire c’est super parce qu’il va te mettre au mitard. Non il est gentil. Non mais méfie-toi des gens qui sont gentils. Le Monsieur il revient du parloir, il se fait arrêter. Montrez ce que vous avez dans les poches ? C’est du plastique. C’est quoi la tache jaune ? Bon c’est du chit. Bon c’est ça la réponse ?

Le problème c’est qu’ils ont pas trouvé ça. Le problème c’était moi qui l’avais. Je regardais la télé avec une télécommande avec le serveur dans la main, la main droite. Le surveillant est à côté de moi, il le voit pas. Et puis il ne me regarde pas puisqu’il sait comment j’suis kamikaze. Il l’a pris mon collègue, il lui a dit « bon tu sors », il l’a mis dans la douche pour le mettre à poil. Moi pendant ce temps comme il est parti le congolais, j’ai commencé cherché, dire « attend une seconde, où je le mettrais ?. Qu’est ce que j’ai fait ? Je les ai mis dans mes couilles, d’amour, d’espoir tout ça. Parce que des fois j’ai fait ça, ils sont venus une seconde ils ont mal fouillé. J’ai dit c’est bon je vais refaire la même chose. Ils sont venu des milliards de sur Lyon. C’était une guerre des étoiles, ils ont détourné la cellule. Ils ont mis 8 heures presque et le chit il était devant leurs yeux. Tu te rends compte tu portes des barrettes pour rien. Ils étaient en état d’ivresse. Ils ont trouvé ... dans mon blouson, avec mon courrier avec mon propre nom. Mon copain il rentre au mitard. Et j’ai dit « ouais », il faut pas dire que tous les surveillant ils sont gentils, moi je les mets tous dans le même sac. On n’en parle plus enfin, bref. Il m’a balancé, il voulait tout mettre sur mon dos. Moi j’ai grandi en prison, toute ma famille, tous mes frères c’est des tueurs et des boxeurs... »