1.5. Le besoin au risque de l'aliénation et une spatialisation de la relation

La spatialisation est l’action de spatialiser ou d'adapter aux conditions de l'espace. Au sens physiologique ce terme veut dire localiser une sensation auditive ou visuelle (Dictionnaire Encyclopédique, Le Petit Larousse Illustré, 1996).Vivre dans la rue initie un autre type de relation à l'autre. L'espace joue un rôle dans le sens où la relation est médiatisée (par les «objets» de la rue). Vivre dans la rue, c'est aller à l'essentiel afin d’assurer sa survie. Ce que nous avons tendance à considérer comme besoins primaires ou vitaux tels manger, boire, se protéger du froid, sont plus marqués dans la rue. Cependant, nous remarquons que certaines personnes ne mangent presque pas ou ne se soignent pas alors que, visiblement, elles en auraient grand besoin. Leur «essentiel» ou leur besoin semble se situer ailleurs. Il est utile de distinguer, comme le fait J. Lacan, les notions du besoin et de la demande qui sont souvent confondues. Dans la perspective lacanienne le besoin vise un objet spécifique et s'en satisfait. Quant à la demande (Laplanche et Pontalis, 1967, p.122.), elle est formulée et s'adresse à autrui. La demande porte sur autre chose que les satisfactions qu'elle appelle. « Elle est demande de présence ou d'une absence. Elle est avant tout demande d'amour » (J. Lacan in Palmier, 1969, p. 94). Alors que la rue semble augmenter et mettre en évidence le besoin, nous devons avoir à l'esprit que le besoin ne se rencontre pratiquement jamais à l'état pur. Le désir et la demande infiltrent le besoin qui fait appel au langage, aussi imprécis soit-il.

Dans l'accompagnement, un de nos problèmes est de saisir les indices ou les signes du langage qui sont parfois inaudibles. Le risque dans nos interventions est que la relation à l'autre soit diluée. Lorsque la perception que nous avons de l'autre est remplie par le besoin, l'espace symbolisant est diminué. Nous risquons d'évacuer la demande et le désir qui sommeillent en répondant au besoin sans penser en priorité à la demande de présence ou de considération qui demeurent sous-jacents.

Dans les relations entre «pairs», se procurer l'essentiel (les besoins primaires) se passe souvent de parole, pouvant réduire l'échange aux rudiments opératoires. Lorsque le besoin s'accroît de la sorte au détriment de la relation, l'espace de la pensée est diminué. Ainsi, la rue peut être un espace qui occupe une fonction de fuite de la pensée. Un déséquilibre risque de s'installer entre le comblement du besoin et la qualité de la relation et de l'intersubjectivité. Dans une configuration où la personne est assimilée à son besoin, c'est l'identité du sujet qui est en péril.