2.3.1. Les objets externes et leurs formes dans le monde interne : confusion monde externe/ monde interne

Si ces sujets nous confrontent à une fantasmatique de déchetterie c’est bien parce ce qu’il existe un site où les objets réels ou fantasmatiques peuvent être déposés. Notre réaction contre transférentielle dans l’accompagnement, par exemple notre impression « d’halluciner », indique que ces personnes opèrent un effet attracteur de nos propres images internes. Les images qui chez nous sont en lien avec le déchet, l’obscène, sont stockées (et parfois refoulées) et activées au contact sensori-perceptif de ces personnes. Qu’il s’agisse d’objets externes, matériels ou fantasmés, ils trouvent un site où être déposés et où ils font image. Ceci constitue donc une manière de prendre forme et ainsi de figurer dans le monde interne d’autrui, à défaut, semble-t-il, de s’inscrire dans la psyché propre du sujet. Lorsque ceci est le cas, c’est l’évidence du lien entre l’hypothèse n° 4 concernant le lieu et l’hypothèse n° 1 qui vient d’être évoquée..

André Green (2002) rappelle que pour Freud dans L’interprétation des rêves le ça est comme un second monde et extérieur pour le Moi.

La description de Freud sur le fonctionnement psychique ne se réduit pas à la description du monde interne par rapport au monde extérieur, mais plutôt comme l’installation d’une « extériorité » à l’intérieur même du psychisme. Ceci est probablement le résultat des rapports entre les instances, la conscience ne pouvant vivre tout ce qui est en dehors d’elle que selon un rapport d’étrangeté.

En référence à la confusion des espaces internes et externes pour les SEU, si nous admettons que le système pare-excitation chez ces sujets est débordé, ce qui fait contenant interne serait ainsi endommagé et affecterait la capacité de différenciation. Parmi les conséquences découlant de cette indiscrimination figureraient :

  • la carence à retenir (choses, relations, habitat) : les choses qui ne sont pas discriminées ne sont pas retenues.
  • La carence à se souvenir, à se remémorer ou à se représenter : les traces mnésiques (perceptives) sont là mais dans un « trop présent » que toute rupture risque de faire revenir. La menace pour le sujet est un retour hallucinatoire d’images non- contenues par les frontières du cadre psychique.

Si Freud avait le souci de dégager et de définir les lieux du psychisme avec la première et la deuxième topique, les processus tertiaires (A. Green, 1972) constituent une position paradoxale quant aux lieux d’investissements psychiques. Green rappelle en citant Freud « (…) c’est au-delà même des frontières du psychisme que sont repoussés des investissements, soit inélaborables par les structures qui prennent en charge le plaisir, soit dont l’intensité menace l’organisation du Moi » (2002, p. 247-248). Il semble donc intéressant de mieux comprendre et d’exploiter cette voie qui permet une approche intermédiaire du psychisme de ces sujets. Malgré certaines carences, il est important de se rappeler que, pour le psychisme, tout n’est jamais totalement perdu. Si ces sujets possèdent un accès limité à la symbolisation (du moins au sens strict du terme qui comprend l’appropriation et l’intégration dans la psyché de l’expérience), des aménagements particuliers dans la prise en charge de ces sujets peuvent mobiliser ces processus (intermédiaires et tierciares) et favoriser leur sentiment de continuité. L’hypothèse n° 3 met en avant la possibilité de la photographie, comme objet intermédiaire, favorisant un vécu de continuité grâce à sa fonction de « contenance imageante ».