2.1. Présence corporelle d’autrui et de ses organes proprioceptifs

Le système de déposition d’images que ces sujets utilisent se sert des sens du sujet dépositaire et de ses organes proprioceptifs. Ce qui est déposé peut revêtir le sens de disposer de quelque chose ou de disposer de quelqu’un …mais cela peut aussi renvoyer aux mots tels que « dépôt », « déposé. » Si, je pouvais inventer un terme pour qualifier le syndrome par lequel ces gens utilisent l’espace urbain pour leurs dépôts, je choisirais « déspositoire urbain » évoquant ainsi le mot « suppositoire » qui n’est pas très éloigné du processus d’élimination et de l’excrément. Le mot dépositoire se rapproche de l’état interne de « désespoir » qui habite beaucoup d’entre eux. Il rappelle également les termes « dépotoir », « dispositif » et, last but not least, il rime avec « trottoir », lieu que ces gens occupent. Telle une contamination, cette communication entre les termes reflète l’ambiguïté de l’état de ces personnes et le phénomène de contiguïté qui me semble les caractériser.

Je pense que les SEU cherchent à se retrouver en utilisant leurs propres traces ainsi que la perception et le regard d’autrui comme tentative de se sentir. Ceci constitue également un paradoxe car ce qui les fait exister fait fuir l’autre.

Ils établissent ainsi une liaison externe via les traces sensorielles et perceptives par ce syndrome :

  • grâce à l’autre et sa perception (car ils ont besoin d’autrui pour s’éprouver)
  • grâce à l’espace public comme lieu d’élection (II, ch.3 :1)
  • grâce à ses propres matières, déchets, dépôts, objets, traces et images laissées

Dans l’aspect paradoxal, mes constats rejoignent la réflexion de R. Roussillon (1999b) sur l’idée du clivage au moi, conceptualisation de S. Freud à partir de l’Abrégé (1938). L’expérience étant éprouvée tout en n’étant pas intégrée ni appropriée par le sujet dans son expérience interne. R. Roussillon précise : « D’un coté, l’expérience a été « vécue », et donc elle a laissé des « traces mnésiques » de son éprouvé et en même temps, d’un autre coté, elle n’a pas été vécue et appropriée comme telle dans la mesure où, comme le dit Winnicott, elle n’a pas été mise « au présent du moi », ce qui supposerait qu’elle ait été représentée » (1999a, p. 20). Bien qu’ils se plaignent essentiellement d’être démunis matériellement, ces sujets souffrent surtout de ce qu’ils sont. Cela se vit comme un état de « non-être » et comme je l’ai développé, d’une faille narcissique.Ils sont affectés comme l’est l’ensemble des sujets présentant des souffrances narcissiques identitaires qui peuvent être pensées sous l’égide d’un processus unique : le clivage qui est ici une blessure qui affecte le sentiment d’être.