4.1 L’errance : un abri contre des complexes de l’institution familiale ?

Certaines personnes en situation difficile demandent de l'aide sous forme de revendication de leurs droits. Souvent elles savent ce qui existe pour «les plus démunis» et elles connaissent toutes les ficelles du système social. L'utilisation que font ces personnes du système ne leur permet cependant pas de s'insérer réellement mais évite toutefois qu'elles se dégradent complètement. On entend souvent dire que ces personnes vivent aux crochets de la société, comme si elles étaient totalement passives, profitant des services sociaux jusqu'à épuisement des services.

Parfois, plus qu’une demande, nous entendons la revendication de leurs droits sous une forme plus active, selon la formule suivante : « J’ai droit à…. à vous de vous débrouiller pour me satisfaire ». Si cette expression véhicule l'image d’un «parasitage de la socièté», qu'en est-il du vécu des sujets concernés ? Je propose de reprendre ces lieux communs rencontrés dans les institutions pour discuter d’une part les configurations à caractère familial et par ailleurs les fantasmes que l’errance et l’institution mobilisent. L’institution constitue un lieu, puisqu’elle offre un cadre, ce qui signifie qu’elle fait réceptacle où elle peut recevoir les projections des sujets.

Un vécu d'exclusion à l'épreuve de la thématique fraternelle

Un repérage de la thématique fraternelle dans les groupes en général est proposé par. R. Kaës (1978b ;1993c) à partir d’imagos et de complexes fraternels qui apparaissent dans les processus groupaux. Cela facilite notre représentation des échanges entre les «marginaux» et les dispositifs d'aide.

Hors du groupe familial, on se dit frères et sœurs lorsque l'on souhaite repérer le lien d'appartenance à un même ensemble. Parmi ces membres se trouve une référence à un idéal (par exemple exigeant, d’être frères dans un même combat, d’être frères et sœurs en Christ).

On trouve cette référence à la fraternité dans les groupes, dans d'autres circonstances. Etre frère et sœur est ce qui fonde le lien chaleureux, fort et doux d'une relation satisfaisante comme avec d'autres soi- mêmes. Ce qui est prévalent ici, c'est la positivité du lien et une identité d'intérêts.

Le groupe dit «fraternel» s'oppose à la rivalité qui règne dans la fraternité. La mère est l'enjeu central de toute rivalité (donnée qui est masquée dans le groupe fraternel). Ainsi, le groupe et la thématique fraternelle révèlent l'existence de la haine et la rivalité parmi ses membres.

Les frères sans héritage ou le regroupement «d'orphelins» de la rue

Dans les groupes où la rivalité n'arrive pas à s'exprimer, le conflit est évité. C'est le cas lorsque la rivalité autour de la mère n'existe pas. Certains groupes ne sont des groupes de frères que parce qu'ils sont formés d'orphelins absolus n'ayant jamais eu ni père ni mère. Nous entendons échanger de telles images parmi de nombreuses personnes en situation d'errance. Leur environnement historico-institutionnel reste méconnu ou nié, faisant d'eux des orphelins qui se regroupent ensemble dans l'espace public. Ils utilisent parfois le terme « frères dans la galère ».

L'intrus et la rivalité

Dès la petite enfance, la relation frères/sœurs dans la famille se construit dans la rivalité autour de la mère et de ses dons. C'est à dire, bienfaits, faveurs, générosité. Elle dispense nourriture, chaleur, soins, tendresse, paroles. Le sentiment de rivalité apparaît face à l'arrivée du frère ou de la sœur dans une famille. En réfléchissant par rapport aux dons de la mère, cette nouvelle arrivée transforme en intrus (J. Lacan, 1938) le frère ou la sœur. Ces rapports introduisent la gestion de la jalousie, la rivalité et surtout de l’envie. Eprouvés qui peuvent contribuer à la structuration de l’enfant qui désormais se trouve confronté à un semblable qui le « frustre » dans l’unité duelle dans laquelle il se trouvait avec sa mère.

Nous pouvons concevoir les dispositifs d'aide, tel que l'hébergement d'urgence, comme un don dont la « mère » dispose. Selon ce modèle, l'errant serait en position d'enfant, ayant comme rivaux, ses frères et sœurs de la rue. Je discuterai plus loin ce modèle qui ne me semble pas approprié.