4.3. L’institution dans le collimateur : entre cible et appui dorsal

A partir des observations de Geneviève Haag (1987b, 1988abc, 1991, 1992, 1997) sur le développement psychique des jeunes enfants, ces considérations sont reprises par A. Ciccone (2001, p.115) pour souligner l’importance de l’intégration du « contact-dos ». Le regard joue un rôle essentiel dans la constitution de la première peau psychique. En effet, le regard, lorsqu’il est joint à l’expérience tactile participe à intégrer cet appui dorsal. L’intériorisation sécurisante de ce contact-dos jointe à l’interpénétration des regards entre la mère et l’enfant, mais jointe également à l’interpénétration bouche-mamelon assure le sentiment d’intégrité. Le tout, en présence de paroles enveloppantes de la mère, forme un contexte qui contribue au développement du sentiment de l’identité de l’enfant.

Si, dans le récit de Bruno se dégage des accusations contre la société et les institutions, l’institution, au niveau fantasmatique pour ces sujets, vient à la place du sein. Cependant, ce n’est pas parce que l’institution est en position nourricière qu’il faille envisager la suite selon le modèle familial ayant des positions, des fonctions et des places bien différenciées. La problématique de ces personnes s’inscrit en amont de la possibilité d’intégration d’une position oedipienne triangulée. L’inclusion d’un tiers et la frustration structurante d’un intrus (la loi, le père, l’autre) n’a pas été élaborée.Selon la situation,on peut envisager ce dernier point à partir de J. Lacan selon différentes perspectives37 et nuances : celle de R. Kaës, autour du complexe d’intrusion et celle de B. Duez, avec la problématique de l’intrus.

C’est une pseudo rivalité que l’on constate dans les relations entre eux. Il n’existe pas suffisamment de différenciation au plan psycho-sexuel de leur développement afin qu’une vraie conflictualité puisse se développer. Ce lien avec les supposés « frères de galère » est d’ailleurs plutôt de l’ordre de la dépendance ou souvent empreint d’homosexualité.

Au travers de leurs manifestations bruyantes ou inquiétantes dans les lieux institutionnels, cette problématique se joue au travers de l’expression de leurs besoins. L’institution joue, il me semble, un rôle de paratonnerre pour ces sujets pour faire tomber la détresse liée aux carences affectives. Toute la panoplie de défenses et de syndromes que la littérature décrit est convoquée face à l’institution. Il semble que des personnes citées comme Bruno, mais aussiMichelqui vit sous tente et Jacquesavec son chien, utilisent l’institution pour prendre appui, faisant endosser à la société leur propre manque d’un appui interne. En situation où il y a faillite de l’ « objet d’arrière-plan d’identification primaire » (background objet of primary identification), (J. Grotstein, 1981) les accusations et le recours à la projection et d’autres phénomènes transfentiels décrits au cours de cette étude, sont dans beaucoup de cas sans doute un rempart contre l’effondrement interne ou bien, à l’autre extrême, un garant contre l’explosion.

Un recours à la maîtrise est souvent sous-jacent (« faire payer les autres »). Plus qu’une illusion, la maîtrise constitue un ultime recours pour tenter malgré tout de garder un lien avec autrui et avec la réalité – réalité qui, paradoxalement, est vidée de sens.

Notes
37.

Le complexe de l’intrusion est selon R. Kaëslaproblématique psychique de l’autre en soi, (l’objet interne) intrus et persécuteur. « L'excès d’intrusion conduitnécessairement à une expression symptomatique sur la scène environnante, corporelle, familiale, institutionnel ou sociale, véritable «réservoir à intrus» lorsqu'elle n'apparaît pas suffisamment organisé notamment par les 3 organisateurs groupaux (R. Kaes, 1993) qui structurent les groupes et les collectivités dont dépendent le sujet (…)» (B.Duez, 2000a, p.79). La problématique de l’intrus est envisagée parB. Duez, à partir du complexe de l’intrusion de J. Lacan. Pour B. Duez l’intrus apparaît comme une fonction de désidéalisation du lien à l’objet primaire inventé part le sujet (op.cit. p.73) et de construction de l’objet primaire. La fonction de l’intrus dans cette perspective, permet de détourner la fonction de déprivation de la figure de tiers (paternel) vers la figure de l’autre : le sujet est déprivé de l’exclusivité de son lien à l’objet (op. cit. p.78). En somme l’autre, intrus, permet la déprivation et la différenciation d’avec l’objet primaire, pour ensuite le retrouver imaginairement (c’est à dire dans un espace intermédiaire en intérieur et extérieur). Lorsque le complexe de l’intrusion ne se déroule pas tel que l’a pensé J. Lacan, le sujet reste dans le lien exclusif à l’objet et l’objet devient alors systématiquement non pas différenciateur mais intruseur. Il reste ainsi dans « la confusion de l’image qui le forme et l’aliène primordialement » (in J. Lacan,1938, p.45).