5.5. Le bureau du clinicien versus le monde de la rue

On voit donc comment, préoccupée par le désir de faire rentrer Elko dans le cadre (l’enclos)de soins « classiques », j’étais prise sur le terrain par les moyens dont je disposais mais également par ce qui est caractéristique de cette clinique. On peut l’appeler l’effacement des barrières, la confusion des limites et on est contraint de gérer, comme on le peut, ce qui est non- contenu chez ces personnes. Ceci est une constante qui ressort dans le cadre de soins ou dans le cadre d’accompagnement et dans la dimension transféro contre transférentielle avec cette population.

Les personnes de cette clinique ne rentrent que rarement dans un bureau ou dans un cadre thérapeutique classique. Quelque chose les relie au monde de la rue et de la pluralité des choses. Avec « l’objet-clinicien » d’un dispositif classique, le lien représenterait une relation élective qui n’est pas supportable pour eux. Le risque serait soit un investissement total et idéalisé, soit une transformation du clinicien en déchet. Pour ces personnes, il est difficile d’être pris dans l’espace de l’Autre. Le lieu interne, c’est l’intérieur de la mère, le lieu du clinicien pouvant représenter, pour eux, le rapport à la mère.

En pensant la construction du dispositif et la question du lieu il est donc important que ces personnes gardent l’illusion que le lieu conserve un caractère d’appartenance partagée et plurielle et ne soit pas perçu comme uniquement lieu de l’autre.

On peut également mieux comprendre l’importance pour ces personnes de pouvoir entrer et sortir facilement de tels lieux, de regarder par les fenêtres et d’être, comme je l’ai évoqué, « mi-dedans », ni complètement dehors.

Le développement du cas de Dan (II, ch.1 :2)et les schémas qui s’y réfèrentmontrent la nécessité pour les accompagnants de reconnaître leur besoin d’une « position en surface ».

En référence à l’image du « nid » déjà évoqué, ces sujets trouvent, à leur manière, certains de leurs contenants au dehors.

Dans ces différentes réflexions sur le cadre en direction du sujet en errance, il me semble que l’enjeu essentiel, dans le type de climat affectif qui a pu être crée ou utilisé, répond davantage au type d’aménagement que j’ai pu, avec mes propres limites, mettre à disposition. Dans certains moments « chaotiques » il s’agissait de maintenir au minima la différenciation moi/ non moi d’avec le fond pulsionnel de la situation et de me préserver. Ce qui me semblait important à certains moments de « l’affect partage » (C. Parat, 1995), répond à ma capacité dans cet espace-temps là précis. Ce qui peut « expliquer » après-coup mon aménagement, c’est l’idée que le sujet peut commencer à se représenter l’objet, à se représenter lui-même et à se représenter en lien avec l’objet à partir du moment où il vit l’expérience d’un objet suffisamment consistant et fiable. Objet aussi qui ne se laisse pas détruire par la destructivité dont ces sujets peuvent témoigner, ce qui ne laisse pas indifférent et qui mobilise aussi des affects de la part de l’objet.