5.8. Le lieu comme espace de rencontre habité et espace de retrouvailles

J’ai rapproché les fonctions du cadre à ce qui fait « lieu » pour ces sujets. La question du lieu est articulée à l’espace de rencontre en montrant que :

Le propre de l’expérience de la vie, c’est qu’elle laisse des traces. La vie actuelle rappelle nos premiers objets d’attachement fondateurs de nos premiers liens. La question des retrouvailles concerne ce qui est en jeu dans la constitution de l’objet et renvoie à la question de la séparation d’avec la mère, le rappel des satisfactions primaires, l’attachement et la solution intermédiaire, temporaire où se trouve l’enfant : c’est dans l’ordre d’accepter une perte. On retrouve l’objet avec familiarité (attendu là ou ailleurs) tout au long de la vie. Il en est de même avec nos premiers lieux. Dans la perspective que j’ai développée, le « lieu » conserverait l’empreinte de ce qui fait trace pour le sujet.

Rosolato G. (1985, p.126) reprend le texte de Freud (1925) sur la question du retrouvé. Freud précise deux faits dans La négation (1925, in Le Coq – Héron, n° 52, p. 13, trad. B. This et P. Thèves)qui caractérisent la fonction de l’objet perdu et qui mettent en évidence son importance dans l’épreuve de la réalité. Concernant l’existence réelle d’une chose, cela dépend de la « décision de la fonction du jugement ».

Le premier fait est que l’on « (…) reconnaît (toutefois) comme condition pour l’installation de l’épreuve de réalité, que soient perdus des objets qui avaient autrefois procuré réelle satisfaction ».

Deux conditions sont à remplir : premièrement, que les objets aient autrefois procuré une réelle satisfaction donc qu’une expérience de plaisir ait eu lieu dans la relation avec la mère. L’objet a laissé une trace de ce plaisir. Deuxièmement, pour accéder à la réalité, l’objet doit avoir été perdu. Cependant, Freud écrivait quelques lignes avant cela : « La fin première et immédiate de l’épreuve de réalité n’est donc pas de trouver dans la perception réelle un objet correspondant au représenté, mais de le retrouver, de se convaincre qu’il est encore présent » (O.C., 17, 1925, p.138).

S’agit-il d’une coïncidence si les lieux de prédilection de ces sujets sont menaçants, souvent informes et vides, manquant de délimitation ? J’ai postulé que leur choix des lieux est signifiant. Je considère en effet qu’il existe une correspondance entre les lieux où ils nous convoquent pour les rencontrer et l’organisation psychique de ces sujets. De même dans les lieux d’accueil pour SEU, les sujets retrouvent la trace du lien mais également la trace du lieu de rencontre avec l’objet maternel et l’environnement antérieur.

R. Roussillon rappelle que la plupart du temps, c’est dans la rencontre avec le premier objet que la matière première de l’expérience subjective, qui est la trace perceptive première, a trouvé son origine et situe là la constitution de la trace dans le processus de symbolisation : « La communauté perceptive entre la nature de la trace et la nature de l’objet facilite le premier transfert sur l’objet de la matière de celle-ci, elle confère à l’objet son attraction naturelle fondamentale. C’est pourquoi l’objet dont il faut symboliser l’impact est aussi l’objet recherché pour symboliser cet impact » (1999a, p. 226).

Ce qui paraît hautement probable dans tout ce que je développe, c’est que ces sujets n'ont jamais pu trouver de lieu d'accueil. C’est le clinicien qui fait l’effort du lien et cette capacité de réceptivitéde sa part paraît importante pour pouvoir ensuite exercer une réflexivité. Mais ces sujets ont d'abord besoin d'expérimenter qu'ils peuvent être accueillis, sentis, vus, pour pouvoir accueillir en retour ce que le clinicien pourra leur renvoyer (fonction alpha).

Les retrouvailles supposent que quelque chose d’habité se situe dans la rencontre, sans risquer d’être aliéné par l’autre.

Il semblerait donc que pour ces sujets, ce qui fait lieu serait l’expérience de retrouvailles avec ce que l'environnement premier a fourni ou n'a pas été capable de fournir. Il s’agirait d’un espace qui renvoie à la notion de la rencontre habitée. Il me semble que la capacité réceptive est de cet ordre.

La prochaine étape concerne l’expérience de retrouvailles à l’œuvre dans la photographie. Lorsqu’on fait appel à la photographie, cela peut être parce qu’il est possible grâce à ce support, de se voir, de se retrouver, soi ou autrui, toujours à la même place. Des choses déjà vues, choses qui reviennent ou que l’on revisite. Ces choses retrouvées avec familiarité, à la même place, ne sont-elles pas précisément ce qui constitue nos traces mnésiques ? La photographie fonctionne comme un « pont » à emprunter en double sens (entre passé/ présent, entre image interne/image externe) en appui sur ces traces qui nous donnent des repères.